Publié le 15/10/2018

Carole MATHIEU, Steve PYE, Paul DEANE

En matière d’énergie, et d’électricité en particulier, les négociations sur le Brexit ne feront que des perdants. À ce stade, le seul objectif raisonnable est de chercher à minimiser les pertes et les obstacles aux échanges.

Le Royaume-Uni (RU) et l’Union européenne (UE) restent fermement engagés à atteindre un accord pour permettre une sortie ordonnée le 30 mars 2019. Néanmoins, la perspective d’un no-deal où d’un Brexit dur sans période de transition a gagné en crédibilité ces dernières semaines.

Même dans ce scénario longtemps considéré comme extrême, il est certain que l’énergie continuera de circuler au travers des infrastructures qui relient physiquement la Grande-Bretagne aux systèmes adjacents. Protéger les échanges transfrontaliers d’énergie, et en particulier d’électricité, est dans l’intérêt de toutes les parties prenantes, qu’elles soient établies au RU ou au sein de l’UE, et tous les efforts devraient converger pour tenter de minimiser les perturbations.

Ceci étant, le Brexit pourrait bien conduire à faire marche arrière sur deux décennies d’harmonisation des règles de fonctionnement des interconnexions, ce qui aboutirait à des solutions sous-optimales réduisant le bénéfice apporté par les échanges aux frontières et supposant un recours plus important aux ressources domestiques pour apporter les mêmes contributions. Plus l’UE sera amenée à poursuivre ses stratégies d’intégration des marchés et de décarbonation des systèmes électriques, et plus l’exclusion du Royaume-Uni du marché intérieur de l’électricité sera dommageable. La nature isolée du système électrique britannique, la complémentarité des bouquets de production nationaux et la part croissante des énergies renouvelables plaident très fortement en faveur d’un renforcement des interconnexions avec l’UE à 27. Justifiés par ces fondamentaux, les cinq projets d’interconnexion les plus avancés ont toutes les chances d’être mis en œuvre peu importe l’issue des négociations, ce qui conduira à un doublement des capacités d’interconnexion (de 4 à 9.8 gigawatts d’ici 2023). Mais le contexte politique et règlementaire pourrait devenir moins favorable aux projets actuellement en phase initiale de développement, en particulier si la contribution des interconnexions à la sécurité d’approvisionnement est questionnée, où s’il n’est pas possible de maintenir des conditions de concurrence acceptables entre production domestique et électricité importée.

Du point de vue irlandais, si le cadre règlementaire en vigueur au RU venait à diverger de celui en place au sein de l’UE, la sécurité d’approvisionnement et les options de décarbonation du système électrique seraient affectées. Dans le même temps, le marché unique de l’électricité couvrant la République d’Irlande et l’Irlande du Nord pourrait être durablement affaibli, voire démantelé. Un nouvel ensemble de règles de trading devrait alors être développé, dans l’optique de limiter autant que possible l’écart avec le modèle cible européen, tout en étant juridiquement et opérationnellement distinct des mécanismes paneuropéens. Plus les autorités compétentes disposent d’un temps limité pour élaborer ces solutions de replis, plus forte est la probabilité de voir émerger des problématiques d’ordre technique qui viendront perturber le fonctionnement du marché dans l’après mars 2019. Au-delà de l’impact immédiat du Brexit, le projet de création d’une nouvelle interconnexion entre l’Irlande et la France mérite une plus grande attention, dans la mesure où un bénéfice net semble se dégager pour les deux pays et que la connexion de l’Irlande au reste du marché intérieur s’en trouverait garantie.

Il faut enfin admettre que le paysage énergétique européen se trouvera durablement modifié par le Brexit, si le RU maintient son intention de développer une politique climatique indépendante de celle de l’UE. Malgré l’engagement du RU à conserver une ambition climatique élevée, toute prise de distance avec la législation européenne est de nature à générer de l’incertitude qui pourrait réduire la marche du progrès en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La transition électrique bas-carbone requiert des investissements dans un système hautement capitalistique et tout flottement sur la supervision du nucléaire civil, la tarification du carbone ou encore la disponibilité des financements publics et le cadre général d’investissement peut retarder les projets en cours ou à l’étude. En conséquence, le RU pourrait devoir faire face à des marges de capacité restreintes et assumer des coûts plus élevés pour garantir sa sécurité d’approvisionnement électrique.

Le Brexit ne présente aucun avantage pour le secteur énergétique et il est de la responsabilité du RU comme de l’UE de reconnaitre que la transition bas carbone sera à la fois plus complexe et plus coûteuse si la coopération est revue à la baisse où stoppée. L’énergie est une industrie de long-terme et une action efficace pour la préservation du climat exige un environnement règlementaire stable et robuste. Dans ce contexte, clarifier au plus vite les conditions de l’accord, quel que soit cet accord, est crucial pour limiter les conséquences négatives, développer des solutions de replis qui seront mis en œuvre dès que le RU deviendra un pays tiers, et enfin anticiper les ajustements stratégiques. 

Cette étude est uniquement disponible en anglais: « Brexit, Electricity and the No-Deal Scenario: Perspectives from Continental Europe, Ireland and the UK [1] »