Publié le 01/09/2016

Elie TENENBAUM

La décennie 1990, très tôt décrite comme celle des grands bouleversements internationaux, a donné lieu, dans le champ de l’histoire militaire, à une conception que l’on pourrait qualifier de « mutationniste ». C’est l’avis de l’historien israélien Martin Van Creveld, pour lequel cette période correspond à une « transformation de la guerre ». 

Loin de se contenter de refléter les nouveaux rapports de force géopolitiques nés de l’effondrement de l’URSS et de la fin de la guerre froide, ce dernier annonce une transformation en profondeur de l’art de la guerre dans toutes ses composantes – qu’il s’agisse des technologies, des structures de forces, mais aussi plus fondamentalement encore de la nature des belligérants et même des causes profondes qui poussent les sociétés à entrer en conflit. Assurément, cette thèse d’une mutation aussi radicale gagne à être nuancée : les débats historiographiques, en histoire moderne notamment, autour de la notion de « révolution militaire » ont bien démontré depuis quelques temps déjà que ce type de transformation ne saurait intervenir sans s’inscrire dans le temps long . En dépit de ces précautions d’usage, il apparaît pourtant que la période qui s’étend de la guerre du Golfe au 11-septembre 2001 correspond bien à la cristallisation d’un certain nombre d’évolutions qui, tout en trouvant leurs origines dans des époques antérieures, apparaissent alors au grand jour. Ce jeu de transformation repose sur deux pans : d’une part une « révolution » de l’art occidental de la guerre, qui, sous l’impulsion américaine, embrasse le tournant radical des nouvelles technologies de l’information ; d’autre part l’évolution de la conflictualité dite « irrégulière » à travers les guerres civiles et le terrorisme. C’est la conflagration de ces deux trajectoires qui aboutit dès le 11-septembre 2001 à la situation stratégique dont nous sommes encore aujourd’hui très largement tributaires.