Publié le 26/10/2018

Laurence NARDON, interviewée par Axel Gyldén pour l'Express

Sauf incident grave, cette affaire devrait être rapidement releguée au rang de buzz, estime Laurence Nardon, de l'Ifri.

Trois jours après la découverte du premier engin explosif, un homme a été interpellé ce vendredi dans l'enquête sur l'envoi d'une douzaine de colis suspects à des détracteurs de Donald Trump. L'affaire a tendu le climat à l'approche des législatives américaines, le 6 novembre prochain. Pèsera-t-elle, pour autant, sur l'issue du scrutin? Directrice du programme Amérique du Nord à l'Institut français de relations internationales (Ifri), Laurence Nardon répond à L'Express. 

Les tentatives d'attentats auront-elles un impact politique ? 
 
D'abord, réjouissons-nous qu'aucune des bombes artisanales envoyées à une dizaines de personnalités connues pour leur aversion à l'égard de Donald Trump - Barack Obama, Hillary Clinton, Joe Biden, Eric Holder, Robert de Niro...- n'aient explosé. A moins de nouveaux développements, je prends le pari que cette affaire sera vite balayée par une autre actualité. Sous la présidence de Donald Trump, il y a un psychodrame par semaine : un buzz chasse l'autre. Cette affaire relève, pour le moment, de cette catégorie. En l'état actuel, il n'y aura pas d'impact sur la campagne et le scrutin. Les militants des deux camps sont déjà galvanisés à fond. Rien ne peut vraiment les galvaniser davantage. 
 
Deux versions irréconciliables s'opposent... 
 
D'un côté, les libéraux [Démocrates] accusent Trump d'avoir "hystérisé" le débat, au point d'avoir créé les conditions d'une agression terroriste interne aux Etats-Unis. De l'autre, les conservateurs [Républicains] expliquent que l'absence d'explosion et de dégâts humains démontre qu'il s'agit d'un coup monté par les démocrates dans la dernière ligne droite de la campagne, afin de nuire au camp d'en face. Leur slogan tient en quelques mots: "Fake news, Fake bombs" (fausses informations, fausse bombes). 
 
Après avoir appelé à l'unité nationale, le président accuse les médias d'être responsables du climat de polarisation qui aurait favorisé ce genre d'action haineuse. 
 
Donald Trump oscille en permanence entre son rôle présidentiel et son personnage de dirigeant narcissique, truculent et imprévisible. En agissant ainsi, il contribue à l'atomisation de la vie politique. 
 
C'est-à-dire? 
 
Le pays n'est pas seulement divisé en deux camps opposés. Il existe aussi des divisions au sein de chaque parti. Le Parti républicain est un mille-feuilles, avec différents courants : les chrétiens, rétrogrades sur les questions morales, mais aussi les "business Republicans", hostiles à la fiscalité, et, enfin, les "trumpistes" du courant populiste. Ces derniers ne sont pas des Républicains traditionnels. Ils ne sont pas opposés à l'idée d'Etat; au contraire, ils voudraient davantage de protection sociale. Ils sont également hostiles au libre-échange et à l'immigration. 
 
Quant au Parti démocrate, il est divisé entre les centristes modérés partisans du libéralisme économique - le courant Obama-Clinton, pour simplifier - et les radicaux, qui ont émergé en 2016. Ces derniers, beaucoup plus à gauche, appartiennent au courant de Bernie Sanders. Ils plaident pour davantage de redistribution sociale en direction des classes moyennes et rejoignent, sur ce point, le discours de Trump. 
 
A moins de deux semaines des élections de mi-mandat, le pays semble plus divisé que jamais. 
 
Le pays n'est pas au bord de la guerre civile, comme en 1860, ni aussi divisé que dans les années 1960 et 1970 lors de la guerre du Vietnam ou pendant la lutte pour les droits civiques. Mais le clivage est profond. L'hystérie concerne les deux camps.  
 
Donald Trump multiplie les meetings dans la campagne des midterms. Cela vous surprend-il ? 
 
Les midterms sont souvent défavorables au président en exercice, ce qui incite généralement ce dernier à prendre ses distances vis-à-vis du scrutin législatif de mi-mandat. Ainsi, en cas de revers, il est en mesure d'expliquer qu'il n'y est pour rien. C'est ce qu'avait fait Barack Obama en 2010. 
 
Donald Trump, qui ne supporte pas l'idée de défaite, s'est jeté dans la bataille avec, jusqu'ici, un certain succès. Force est de reconnaître qu'en meeting, il est plutôt doué et efficace. Surtout, auprès de sa base, son discours est très bien reçu. 
 
A l'électorat populiste, il fait valoir sa fermeté sur les questions d'immigration et sur la "protection" des Etats-Unis contre les traités de libre-échange qui, selon lui, pénalisent l'Amérique. Quant aux conservateurs, ils sont ravis par la nomination de deux juges conservateurs à la Cour suprême et par celle de dizaines d'autres à tous les étages de la pyramide judiciaire. Porté par une économie en croissance et un chômage historiquement bas, Trump se présente comme quelqu'un qui a tenu ses promesses.  
 
La "vague bleue", ce raz-de-marée électoral annoncé par les Démocrates depuis plusieurs mois, n'est donc pas certain... 
 
Personne ne peut se risquer à un pronostic. La perspective d'un succès électoral et le discours autour de la "vague bleue" ont permis de remobiliser et galvaniser les militants démocrates, mais les Républicains sont également gonflés à bloc.  
 
En quoi la "caravane" de migrants latinos, qui se dirige depuis l'Amérique centrale vers les Etats-Unis à travers le Mexique et dont les membres affirment vouloir traverser de force la frontière Mexique-Etats-Unis, favorise-t-elle Trump? 
 
Pour lui, le discours des organisateurs de la caravane, qui revient à dénier la souveraineté américaine, constitue du pain bénit.  
 
Le scrutin des midterms est-il crucial pour Trump? 
 
Dans un certain sens, oui. Mais relativisons. S'il gagne, contre les prédictions de ces derniers mois, il présentera cela comme un triomphe. Et s'il perd, il se posera en victime, comme il sait très bien le faire. Et, durant la deuxième moitié de son mandat, il imputera la responsabilité de tout ce qui fonctionne mal aux démocrates et à leur antipatriotisme supposé. Dans les deux cas, il gagne.