Publié le 30/10/2018

Hans STARK, cité par Nicolas Barotte dans Le Figaro

Dès l'annonce des résultats des élections en Hesse, dimanche, le ministre de l'Intérieur italien, Matteo Salvini, leader de la Ligue, le parti d'extrême droite au pouvoir à Rome, criait victoire. « Les soi-disant partis de droite et les Verts ont progressé de dix points, donc salutations à Merkel et aux amis de la Bundesbank », a-t-il lancé.

Il ne savait pas que quelques heures plus tard la chancelière allait annoncer son retrait de la présidence de la CDU. Avec ce départ à l'horizon, une page va se tourner en Europe. Si elle a été décrite sévèrement comme «sans vision» européenne, Angela Merkel a façonné, de fait, l'Union, par sa politique.

Son affaiblissement politique est une mauvaise nouvelle pour les pro-européens. « Elle va perdre en influence alors qu'elle était l'une des rares à avoir l'autorité et l'expérience », observe Claire Demesmay, spécialiste de l'Allemagne à l'institut DGAP de Berlin. Son aura avait déjà commencé à décliner en réalité. « Maintenant, elle est seule », avait déclaré le président américain, Barack Obama, en 2017, après avoir cédé son fauteuil à Donald Trump.

Chancelière depuis treize ans, Angela Merkel est la doyenne des leaders politiques européens. Lorsqu'elle accède au pouvoir à Berlin, l'Allemagne est encore considérée comme « l'homme malade » de l'Europe, auquel le social-démocrate Gerhard Schröder vient d'administrer une thérapie de choc. Plus d'une décennie plus tard, Angela Merkel est à la tête d'une puissance économique tellement dominante que ses déséquilibres commerciaux sont devenus une source de tension dans l'Union. Avec un taux de chômage historiquement bas, à 4,9 %, le pays peut cependant se présenter en modèle de gestion.

Au niveau européen, l'Europe d'Angela Merkel va mal.

  • « Le Royaume-Uni s'en va, l'Italie joue avec le feu, les menaces grandissent à l'Est et le soutien automatique des États-Unis est perdu. La question n'est pas de savoir si le verre est à moitié plein ou non: il se vide », explique Hans Stark, spécialiste de l'Allemagne à l'Ifri. « Avec elle, l'Europe perd quelqu'un à l'image ambiguë. L'Allemagne avait permis de copiloter l'Europe. En même temps, elle a soutenu des politiques d'austérité ou d'immigration qui ont accentué les clivages », poursuit-il.

Angela Merkel n'est toutefois pas responsable de toutes les fractures du continent. En 2005, elle est élue au lendemain du non français au référendum sur la Constitution européenne. L'Europe entre en stand-by. En France, il faut attendre 2007 et l'élection de Nicolas Sarkozy pour retrouver une impulsion. Réaliste, Angela Merkel veut doter l'Union d'une solution pratique pour fonctionner. Avec le chef de l'État, elle signe le traité de Lisbonne, qui reprend le cadre de fonctionnement de la Constitution rejetée. Si elle est résolument pro-européenne, par son histoire personnelle, son pragmatisme est sans limite. Elle croit à une Europe intergouvernementale, où l'Allemagne pèse plus que les autres.

La crise financière qui frappe le monde à partir de 2008 va constituer la première épreuve pour Angela Merkel. Mais elle tarde à réagir et attend que les banques allemandes soient touchées pour prendre la mesure des risques. Au nom du principe de responsabilité et pour protéger l'épargne allemande, elle veut poser des limites à la solidarité financière européenne. Les politiques d'austérité qui sont exigées, comme en Grèce, forgent l'image d'un diktat allemand. Mais à Berlin, encore aujourd'hui, on « ne regrette pas » ces programmes qui ont nourri les discours populistes. Pour Angela Merkel, le laxisme des États est à l'origine de la crise et le respect des règles communes préservera l'Union. Elle ne veut pas donner prise aux arguments de l'AfD, le parti populiste qui se crée en 2013 pour dénoncer les faiblesses de l'euro.

« Angela Merkel est allée finalement plus loin que les positions de son parti. Mais elle est demeurée réaliste  : elle savait qu'elle devrait à la fin demander des votes au Bundestag », Hans Stark, de l'Ifri

Puis arrive la vague des réfugiés, en 2015. Les dirigeants européens n'ont pas voulu se confronter à la question, jusqu'au moment où la pression devient trop forte. Le premier ministre hongrois, Viktor Orban, l'allié de Merkel au sein du Parti populaire européen, veut fermer les frontières et repousser les migrants. Angela Merkel est alors mue par son attachement aux valeurs d'humanité. La chancelière veut éviter une catastrophe en Europe ou à ses portes. Angela Merkel impose sa décision à ses partenaires européens, y compris français. Les réfugiés affluent par centaines de milliers, de façon incontrôlée. L'opposition de plusieurs pays rend impossible l'élaboration d'une solidarité européenne dans l'accueil.

Si Angela Merkel a su manœuvrer en période de crise, elle a pris conscience à l'orée de son quatrième mandat de la nécessité de relancer l'Europe. Celle-ci doit « prendre son destin en mains », a-t-elle dit. Sa médiocre réélection en septembre 2017 ainsi qu'une prudence extrême face à une opinion échaudée l'empêchent jusqu'au printemps de répondre à la main tendue d'Emmanuel Macron. L'Élysée est déçu par cette réaction timorée.

Or la CDU, dont elle perd le contrôle, est plus réservée qu'elle sur l'Europe. Depuis, le tandem franco-allemand s'est mis en pause: à Berlin, la crise politique accapare plus que les projets européens. « Cela ne fonctionne plus », analyse Henrik Enderlein, de la Hertie School. « L'Allemagne n'a pas été capable de répondre à la France.»

Angela Merkel n'a toutefois pas renoncé à toute ambition. Instruite par les crises qu'elle a traversées, la chancelière voudrait lutter contre les forces centrifuges au sein de l'UE : maintenir sa cohésion est sa priorité plutôt que son approfondissement. Il est trop tôt pour savoir si elle a réussi.

 

Copyright Nicolas Barotte, correspondant à Berlin / Le Figaro

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