Publié le 27/11/2018
The large wheel of a bucket wheel excavator in a lignite quarry, Germany

Carole MATHIEU, Marc-Antoine EYL-MAZZEGA, tribune parue dans Le Monde

Dans une tribune au « Monde », les chercheurs Marc-Antoine Eyl-Mazzega et Carole Mathieu prônent l’abandon du lignite par l’Allemagne et l’investissement de fonds européens dans la transition et la reconversion.

Tribune. À l’approche de l’ouverture de la COP24, le 3 décembre, la gouvernance mondiale du climat est en péril et l’Union européenne (UE) porte sa part de responsabilité. Le monde s’inscrit dans une trajectoire de réchauffement supérieure à 3 degrés, et les émissions globales et européennes de gaz à effet de serre menacent d’augmenter à nouveau en 2018. Or, l’UE est divisée sur la nécessité de revoir à la hausse ses ambitions climatiques pour aller au-delà de la cible initiale des 40 % de baisse des émissions d’ici à 2030, et se donner ainsi les moyens d’atteindre zéro émission nette à l’horizon 2050. Si l’UE tergiverse, comment convaincre les autres grands pays émetteurs de se mobiliser pour gagner la bataille du climat ?
 

L’Allemagne a rejeté l’idée d’un objectif européen plus ambitieux pour 2030, considérant qu’il fallait en premier lieu se concentrer sur l’atteinte des objectifs actuels. En réalité, c’est la question de la sortie du charbon en Allemagne qui pose problème. La part des énergies renouvelables est passée d’environ 16 % en 2010 à plus du tiers de la production électrique allemande en 2017. Mais les 30 000 éoliennes installées et les 40 TWh d’électricité solaire produite en 2017 n’ont pas permis de réduire significativement l’intensité émissive du secteur électrique allemand, la part du charbon (lignite et houille) n’ayant que faiblement décliné et représentant 36,6 % de la production électrique totale en 2017, contre 20 % dans l’UE.
 

La « commission charbon » instituée par le gouvernement allemand en juin travaille sur un calendrier et des modalités de fermeture des mines et centrales à charbon, mais il lui faut ménager les industriels, limiter l’impact sur l’emploi, et éviter toute dégradation de la sécurité d’approvisionnement électrique. Une tâche ardue, mais pas impossible : le Royaume-Uni, par exemple, a vu la part de sa production électrique issue du charbon passer de 41 % en 2013 à 6,7 % en 2017, grâce à l’introduction d’un système de prix plancher du carbone venant s’ajouter au système européen d’échange de quotas d’émission (ETS). L’effort sera évidemment plus lourd en Allemagne : la production de houille devrait totalement cesser fin 2018, mais l’Allemagne reste le premier producteur de lignite du monde. D’importantes ressources devront être consacrées à la gestion des sites miniers, à l’accompagnement des près de 21 000 salariés de l’industrie du lignite et à la reconversion industrielle des trois régions charbonnières (Rhénanie-du-Nord, Lusace et Saxe).
 

Ces défis ne peuvent servir d’excuse : l’Allemagne a dégagé 48 milliards d’euros d’excédent budgétaire au premier semestre 2018. Elle vient de célébrer les vingt-neuf ans de la chute du mur de Berlin, qui a entraîné une mobilisation financière immense pour la réunification. Le défi du charbon doit être surmonté, et l’Allemagne a la responsabilité et les moyens d’y parvenir.
 

À l’échelle européenne, le premier des défis est de s’assurer que les modalités de fermeture des centrales à charbon sont définies en cohérence avec les outils européens de réglementation des émissions. Des fermetures non concertées pourraient en effet interférer avec le fonctionnement du marché du carbone et réduire son influence à l’échelle de l’UE. Un prix plancher du carbone qui s’appliquerait au minimum aux pays de l’Europe du Nord-Ouest semble être la solution la plus pertinente pour une sortie progressive du charbon dans la région. Il viendrait utilement compléter le marché carbone européen, qui connaît actuellement une forte volatilité. Il faut aussi relever le défi de la cohésion territoriale, qui justifierait une réorientation de certains fonds structurels européens pour accompagner les régions en transition énergétique.
 

Des nouvelles opportunités industrielles

Fondamentalement, il faut aller vers une union franco-allemande du climat. Elle œuvrerait pour une Europe qui protège ses industries face à ceux qui négligent l’enjeu climatique moyennant un accès limité à son propre marché pour les produits importés à forte empreinte carbone. Une Europe qui se saisit des nouvelles opportunités industrielles créées par la « transition bas carbone » en soutenant l’émergence d’un écosystème européen dans le domaine du stockage de l’électricité et en transformant la décarbonation des transports – qui représente par exemple plus du tiers des émissions en France – en opportunité économique. Une Europe à la pointe de l’efficacité énergétique et qui s’assure que les plus vulnérables ne soient pas les perdants de cette transition. Une Europe qui hisse le recyclage des équipements bas carbone, des métaux et des plastiques en haut des priorités. Une Europe qui englobe son voisinage oriental et méditerranéen dans sa transition énergétique en y favorisant des investissements durables qui puissent être comptabilisés, en partie, dans les bilans carbones nationaux. Enfin, une Europe qui influence la gouvernance mondiale de l’énergie, en encourageant par exemple les pays du G20 à mutualiser leurs efforts pour accélérer les progrès sur certaines technologies clés, comme l’« hydrogène vert ».
 

La France et l’Allemagne doivent aussi construire de nouvelles alliances internationales autour d’enjeux insuffisamment pris en compte, en Afrique notamment : la ville durable, la réduction des subventions aux énergies fossiles, le changement d’échelle dans l’électrification du continent africain et le déploiement de solutions pour des moyens de cuisson domestique propre. Les deux pays devraient soutenir conjointement des mesures d’adaptation au changement climatique sur le continent africain. Une telle union apporterait une réponse à l’urgence climatique et à l’urgence de remobilisation autour du projet européen, lui aussi menacé.
 

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Marc-Antoine Eyl-Mazzega et Carole Mathieu sont chercheurs à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

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