Publié le 27/11/2018

Tatiana KASTOUEVA-JEAN, citée par Yves Bourdillon et Benjamin Quenelle dans Les Echos

C'est une escalade, mais calibrée, à laquelle se livrent Moscou et Kiev après l'incident, dimanche soir, de la mer d'Azov. Mardi, le président russe, Vladimir Poutine a mis en garde contre toute « action irréfléchie » son homologue ukrainien, Petro Porochenko.

Incident sans précédent

Ce dernier a instauré lundi soir la loi martiale dans ses régions frontalières après que, incident sans précédent, la marine russe a capturé trois petits navires et 24 marins de la flotte ukrainienne en mer d'Azov, entre l'Ukraine, la Russie et la Crimée, péninsule ukrainienne envahie et annexée par Moscou en 2014. Les autorités ukrainiennes peuvent mobiliser les citoyens, censurer les médias et limiter les rassemblements publics pendant 30 jours, une durée réduite pour ne pas perturber la campagne de la présidentielle prévue fin mars.

Moscou et Kiev s'accusent mutuellement de provocations. La Maison-Blanche a, comme Berlin, condamné les actions russes mais laissé entendre qu'il revenait aux Européens de résoudre cette crise. Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, recommandait, avant une réunion du Conseil de sécurité, la retenue aux deux parties et Paris les a appelées à la désescalade. Les pays européens discutent de nouvelles sanctions contre Moscou, menace pour l'instant vague et limitée. Ils demandent juste à Moscou la libération des marins ukrainiens, sans résultat : la télévision russe a montré ces captifs comparaissant devant un tribunal...

Risque limité d'escalade

Peut-on craindre une confrontation directe entre Moscou et Kiev, qui serait un véritable séisme géopolitique ? Certes, l'armée ukrainienne combat déjà des Russes depuis quatre ans en Ukraine orientale, un conflit de basse intensité (10 morts par jour), mais il s'agit officiellement de « volontaires » en congé de l'armée russe.

  • Même si les manuels d'Histoire sont remplis de guerres déclenchées par accident mais dont personne ne voulait, cet incident « ne devrait pas être suivi d'escalade incontrôlable, du genre d'une « grande guerre » russo-ukrainienne », estime Tatiana Kastueva-Jean, spécialiste de la Russie à l'Institut français des relations internationales, car cela comporte « trop de risques militaires et politiques pour les deux parties, les forces sont trop inégales et Porochenko n'est pas suicidaire ». Elle estime toutefois que d'autres incidents ne sont pas à exclure, « c'est programmé par le statut de la mer d'Azov, qui ne correspond plus à la réalité sur le terrain après la construction du pont russe de Kertch, les restrictions à la navigation des bateaux ukrainiens par les Russes et la contre-réaction ukrainienne ».

Mais la presse ukrainienne craint que cet incident soit les prémices d'un débarquement visant à s'emparer de la langue de terre autour de la ville de Marioupol. Comme toujours depuis 2014, Moscou affirme être prêt à riposter à toute atteinte à sa souveraineté et sa sécurité, accuse Kiev de violations grossières du droit international et d'utilisation de cet incident à des fins de politique intérieure. Des voix minoritaires à Moscou se demandent si Poutine ne cherche pas à affaiblir encore l'Ukraine en profitant des déboires du moment des principaux dirigeants européens (May, Merkel, Macron).

Yves Bourdillon et Benjamin Quenelle, correspondant à Moscou

Lire l'article sur le site Les Echos [1].