Publié le 23/01/2019

John SEAMAN

La domination de la Chine dans la production de terres rares illustre la compétition qui se joue autour des ressources minérales dans un monde toujours plus axé sur le numérique et le bas-carbone. 

Au cours des deux dernières décennies, la Chine a été à l’origine de 80 à 95 % de la production mondiale de terres rares, un groupe de 17 métaux devenus des éléments-clés de progrès technologiques révolutionnaires dans les domaines de l’énergie, des TIC, des dispositifs médicaux ou encore dans la défense. Contrairement à ce que leur nom indique, les terres rares ne sont pas rares et on en trouve partout dans le monde. La concentration de la production de ces métaux est due avant tout à l’apparition des préoccupations environnementales, mises en avant au cours des années 1970 et 1980 en France et aux États-Unis notamment, ainsi qu’à la politique chinoise visant à exploiter les ressources naturelles du pays.

Depuis 2010, le monde a parfaitement pris conscience de cette division du travail faussée. Faisant fi de ses engagements en matière de commerce international, la Chine a mis en place des mesures de contrôle à l’exportation très restrictives sous forme de permis, de taxes ou de quotas qui ont considérablement limité l’offre de terres rares pour la consommation industrielle étrangère. La même année, bien qu’elle s’en soit défendue avec force, la Chine a été accusée de mettre en place ce qui s’apparente de facto à un embargo de deux mois sur les cargaisons de terres rares à l’encontre du Japon, dépendant de l’importation de ces dernières, en guise de représailles pour la détention d’un pêcheur chinois dans les eaux disputées de la mer de la Chine orientale. Si la véracité de ces accusations est sujette à caution et les bénéfices que la Chine a pu tirer d’un tel embargo insignifiants, le mal était néanmoins fait. Les effets conjugués des inquiétudes quant à l’approvisionnement et d’une flambée des prix (augmentant pour certains métaux de 500 % ou plus l’année suivante) ont conduit à une explosion de l’investissement dans l’exploration de gisements de terres rares, par exemple dans les jungles du Brésil, les profondeurs de l’océan Pacifique et même sur la surface de la Lune.

Une partie de la production extérieure à la Chine, notamment celle de la mine du Mount Weld en Australie, s’est avérée viable jusqu’ici, tandis que d’autres, telles que celle du Mountain Pass en Californie, se sont effondrées au gré des évolutions du marché. À la suite d’une procédure de règlement des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Chine a renoué avec des pratiques commerciales plus ou moins normales en 2015 et représente encore plus de 80 % de la production mondiale de terres rares, dont la quasi-totalité de la production mondiale de celles jugées les plus « critiques » comme le dysprosium.

Du côté de la demande, les consommateurs industriels étrangers sont passés à la vitesse supérieure pour trouver des solutions. Nombre d’entre eux sont parvenus à améliorer leur rendement, à trouver des matériaux de substitution ou à remplacer l’ensemble des technologies, ce qui a provoqué une chute estimée à près d’un tiers de la demande mondiale en terres rares entre 2011 et 2016. Mais pour d’autres, par exemple dans le secteur de l’éolien ou celui de l’automobile, il s’est avéré plus difficile de trouver des solutions, et les terres rares demeurent des matériaux critiques. Beaucoup font l’hypothèse que la demande en terres rares telles que le néodyme et le dysprosium va augmenter de manière significative et s’accompagner de conséquences négatives pour les industries qui en dépendent, mais le changement technologique et l’amélioration du rendement peuvent encore réserver des surprises. À cet égard, les risques sont de deux ordres. Le premier est la persistance de la dépendance envers la Chine pour l’approvisionnement en terres rares, lesquelles restent des intrants critiques aux yeux de nombreuses industries d’avenir. Le second est que, dans la recherche frénétique de solutions d’approvisionnement, les utilisateurs industriels doivent sacrifier leur compétitivité, notamment face aux Chinois, qui ne partagent pas les mêmes contraintes matérielles.

Pour la Chine, l’objectif premier n’est pas, tant s’en faut, d’utiliser l’avantage qu’elle possède en matière de ressources comme une arme économique dans les batailles diplomatiques. En effet, l’intérêt de la Chine pour les terres rares est bien plutôt motivé par des préoccupations nationales, dont l’une est de réagir à la crise écologique de plus en plus aiguë qu’elle traverse. Pour ce faire, Pékin tend à favoriser de plus en plus les technologies les plus économes en énergie et les moins émettrices de carbone, notamment l’éolien et les véhicules électriques, qui reposent souvent sur les terres rares. En même temps, elle cherche à mieux gérer le désastre écologique qu’a provoqué la production de terres rares dans ses régions minières. Un autre élément moteur consiste à favoriser la stratégie économique de la Chine visant à devenir un acteur leader des industries d’avenir et à contrôler de plus en plus les chaînes de valeur respectives, garantissant ainsi la transformation économique du pays à long terme et renforçant la légitimité du Parti. Dans ce contexte, la politique de la Chine en matière de terres rares n’a pas seulement consisté à contrôler la production et à s’assurer que ses industries disposent des ressources nécessaires. La République populaire s’est en outre employée à exercer une domination croissante, en aval, sur les industries à valeur ajoutée qui dépendent de ces métaux critiques. De ce fait, la Chine n’est pas seulement le premier producteur mondial d’oxydes de terres rares, elle en est également le plus grand consommateur et a une mainmise de plus en plus grande sur les chaînes de valeur de produits clés tels que les aimants à terres rares.

Cependant, les ressources de la Chine ne sont pas infinies et les craintes liées à une augmentation de la demande et à l’épuisement des réserves de certaines terres rares conduisent les entreprises chinoises à rechercher des ressources à l’étranger. À ce titre, une nouvelle vague d’investissements chinois à l’extérieur pourrait bien signifier que la production (et la pollution), autrefois délocalisée vers la Chine, sera à l’avenir de plus en plus répartie dans d’autres régions du monde, tandis que Pékin cherchera encore à contrôler les industries de plus grande valeur en aval.