Publié le 01/02/2019

Cécile MAISONNEUVE, citée par Nabil Wakim dans Le Monde

Berlin a développé fortement les énergies renouvelables pour arrêter ses réacteurs nucléaires en 2022, mais les centrales à charbon continuent de tourner à plein régime.

C’est le champ de bataille favori des pro et des antinucléaires français : la transition énergétique allemande, ou Energiewende, est-elle responsable de la mauvaise situation climatique dans laquelle se trouve l’Allemagne ? Autrement dit : la décision de sortir du nucléaire a-t-elle condamné nos voisins d’outre-Rhin à conserver leurs très polluantes centrales à charbon et lignite ?

En 2011, peu après la catastrophe de Fukushima, la chancelière Angela Merkel confirme que l’Allemagne arrêtera ses réacteurs en 2022 au plus tard. Une sortie rapide qui fait, à l’époque, largement consensus dans le pays. Les Allemands ont développé de longue date une aversion certaine pour cette énergie, qui produit encore près de 20 % de l’électricité du pays. Le gouvernement se dote d’un ambitieux plan de développement des énergies renouvelables. Le solaire et l’éolien connaissent une croissance exponentielle, qui permet de faire baisser les coûts de manière spectaculaire.

Mais bien peu anticipent l’une des conséquences de ce choix : les énergies renouvelables viennent remplacer la production nucléaire, mais les centrales à charbon, elles, continuent de tourner à plein régime. Or, le charbon est de loin l’énergie la plus nocive pour le climat – sans même parler des effets sur la santé –, alors que la filière nucléaire n’émet que peu de CO2.

Plus de 35 % de l’électricité provient de centrales à charbon

Ce qui fait dire à certains que les Allemands ont fait un mauvais choix et qu’une trajectoire de sortie du nucléaire ne permet pas de baisser les émissions de CO2. Malgré les centaines de milliards d’euros investis, raille Jean-Marc Jancovici, consultant en énergie-climat pour le cabinet de conseil Carbone 4, « l’Allemagne n’a pas diminué de manière notable la facture de ses importations d’énergie ni diminué ses émissions de CO2, a fragilisé son réseau électrique, et il n’est pas certain que cela ait permis de créer des champions industriels pérennes ».

« En France, on a tendance à considérer que les Allemands sont stupides d’avoir fait ce choix et, en Allemagne, on a tendance à penser que les Français sont stupides de ne pas l’avoir fait »

Cette vision n’est pas partagée en Allemagne, où la sortie du nucléaire est vécue comme un choix démocratique qui répond à d’autres impératifs. « En France, on a tendance à considérer que les Allemands sont stupides d’avoir fait ce choix et, en Allemagne, on a tendance à penser que les Français sont stupides de ne pas l’avoir fait », plaisante Felix Christian Matthes, directeur de recherche à l’Öko-Institut. A Berlin, on estime notamment que l’Energiewende a permis à l’Allemagne de prendre tôt le virage des énergies renouvelables – contrairement à la France, souligne-t-on avec malice.

Mais, en décidant de remplacer le nucléaire par des éoliennes et du solaire, l’Allemagne n’a pas réduit sa production électrique à partir de charbon. Plus de 35 % de l’électricité du pays provient de centrales à charbon et, si l’on ajoute les 12,5 % de production à partir de gaz, près de 50 % de l’électricité allemande est encore issue d’énergies fossiles.

Cela dit, il est faux d’affirmer que le pays a remplacé le nucléaire par du charbon. « On a remplacé une énergie décarbonée, le nucléaire, par une autre, les renouvelables », souligne Hartmut Lauer, ancien dirigeant d’un groupe énergétique allemand et ancien patron de centrale nucléaire. Mais cela ne change rien sur le plan climatique. Les émissions de CO2 de l’Allemagne sont en légère diminution, mais cela ne suffit pas : Berlin ne tiendra pas son objectif de réduire de 40 % ses émissions d’ici à 2020 par rapport à leur niveau de 1990.

« Une transition qui a péché par – au moins – deux aspects »

« D’autant que la transition énergétique allemande a péché par – au moins – deux aspects », note Cécile Maisonneuve, conseillère au centre énergie de l’Institut français des relations internationales. « D’abord, elle s’est concentrée sur l’électricité en négligeant les transports, première source d’émission de CO2. Mais elle repose également sur le fait que les pays voisins n’ont pas suivi la même stratégie : les Allemands peuvent continuer à importer du nucléaire français lorsqu’ils en ont besoin… »

La situation est cependant en train de changer : après sept mois de négociations, la « commission charbon », réunie par le gouvernement, est arrivée à un consensus pour un plan concerté de sortie de la production d’électricité à partir du minerai noir. La fin du charbon devrait intervenir en 2038, au plus tôt en 2035, si les conditions le permettent. A court terme, des capacités de production parmi les plus polluantes seront arrêtées d’ici à 2022.

Un virage important et coûteux – pas moins de 40 milliards d’euros – qui sera difficile à mettre en œuvre, tant les conséquences économiques seront importantes. Cela aura aussi des conséquences climatiques : l’Allemagne prévoit de développer encore plus les énergies renouvelables, mais aura besoin de construire de nouvelles centrales à gaz, émettrices de CO2, pour pallier la production intermittente de l’éolien et du solaire.

Nabil Wakim

Lire l'article sur le site du journal Le Monde [1]