Publié le 20/03/2019

Alice EKMAN, citée par Marc SEMO, dans Le Monde

Le président français développe simultanément un discours de séduction et de fermeté vis-à-vis de la Chine.

Dans ses discours, Emmanuel Macron prend toujours soin de rappeler le poids de la Chine et de saluer son rôle dans l’économie mondiale ainsi que ses efforts pour promouvoir un multilatéralisme efficace. Au-delà de ces très convenus hommages diplomatiques, le président français reste pourtant l’un de ceux qui, parmi ses pairs européens, ont le langage le plus ferme vis-à-vis de Pékin. Le chef de l’Etat, dont le nom de famille adapté en chinois « Ma Ke Long » signifie « cheval qui dompte le dragon » n’hésite pas en effet à dire aussi ce qui fâche.

Comme de déclarer que « l’Union européenne devrait avoir une approche coordonnée » face à la Chine, critiquant implicitement le cavalier seul de pays tels que l’Italie, qui s’apprête à signer un mémorandum d’entente sur sa participation au projet chinois des « nouvelles routes de la soie » lors de la tournée européenne de Xi Jinping. Paris insiste notamment sur le nécessaire filtrage des investissements comme sur la réciprocité en matière d’accès aux marchés. La visite du président chinois à Nice, puis à Paris, du 24 au 26 mars, sera l’occasion de mettre à plat toutes ces questions en cette année du cinquante cinquième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques franco-chinoises.

« Par multilatéralisme et par libre-échange, Emmanuel Macron et Xi Jinping entendent des choses très différentes ; il y a un fossé entre les définitions, et c’est beaucoup plus qu’un simple écart lexical. D’où la volonté des autorités françaises de dire les choses le plus précisément possible », explique Alice Ekman, responsable du programme Chine de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Ainsi le président français rappelait encore à Nairobi le 13 mars que « les routes de la soie, ouvertes par Marco Polo, doivent fonctionner dans les deux sens ».

« Esprit d’équilibre et de réciprocité »

« La Chine est une grande puissance économique et géopolitique, et c’est une bonne chose qu’elle participe au développement de nombreux pays, mais je crois à l’esprit d’équilibre et de réciprocité », expliquait-il à la fin d’un périple de quatre jours en Afrique de l’Est, où Pékin est omniprésent économiquement et politiquement – et militairement, avec une base à Djibouti. Le chef de l’Etat a mis en garde ses interlocuteurs sur la dangerosité d’être dépendant d’un seul investisseur et d’un seul créancier, craignant que « cela ne remette en cause la souveraineté de ces pays et ne fragilise leur économie ».

« La France est perçue par la Chine comme le pilier de l’Union européenne, compte tenu aussi de son rôle de membre permanent du Conseil de sécurité, et qui reste à séduire »

Parce qu’il développe simultanément un discours de séduction et de fermeté, reconnaissant les atouts de la seconde puissance économique mondiale, mais insistant pour des règles claires, Emmanuel Macron embarrasse quelque peu les dirigeants chinois. « Le personnage leur échappe et ils ne savent pas comment le prendre, et il est encore plus ambigu à leurs yeux qu’Angela Merkel », souligne François Godement de l’Institut Montaigne. En même temps, ils le ménagent. « La France est perçue par la Chine comme le pilier de l’Union européenne, compte tenu aussi de son rôle de membre permanent du Conseil de sécurité, et qui reste à séduire », relève Alice Ekman.

« Investissements de pillage »

Dans Révolution (XO éditions) son livre manifeste, celui qui n’était encore que le candidat Macron appelait à voir dans la Chine « une chance » plutôt qu’« un péril ». L’ambivalence était déjà palpable lors de sa première et jusqu’ici unique visite en Chine début janvier 2018, où le président français annonça sa volonté de s’y rendre « au moins une fois par an ». Emmanuel Macron assurait vouloir œuvrer avec son homologue chinois pour « réinventer le multilatéralisme ». Le ministre de l’économie Bruno Le Maire mettait en revanche les points sur les i, affirmant refuser beaucoup de projets d’investissements chinois dans l’Hexagone, « ceux qui s’apparentent à des investissements de pillage ». Cette visite un peu chaotique fut un tournant. Le chef de l’Etat connaissait intellectuellement la réalité du système chinois, là il l’a directement ressentie.

La France organise des manœuvres avec la marine japonaise, vend des sous-marins à l’Australie et des avions de chasse à l’Inde. En mai 2018, lors de sa visite à Canberra, M. Macron durcissait le ton en appelant à s’organiser avec l’Australie et l’Inde face à la Chine « pour préserver un développement qui repose sur des règles », afin de garantir la liberté de circulation navale et aérienne dans la zone indo-pacifique et éviter « une hégémonie ». Il n’a pas hésité à utiliser le mot qui fâche. D’où une riposte cinglante du quotidien étatique nationaliste Global Times, qui ironisait sur « la diplomatie opportuniste d’une France en déclin ».

Ce thème revient dès lors de façon récurrente dans les discours présidentiels sur la Chine. Ainsi, lors de la conférence des ambassadeurs, le rendez-vous annuel où le chef de l’Etat fixe les grands caps de la diplomatie française. « La Chine a posé l’un des concepts géopolitiques les plus importants des dernières décennies avec ses nouvelles routes de la soie. Nous ne pouvons pas faire comme si cela n’existait pas », affirmait Emmnuel Macron le 27 août 2018. Il mettait en garde : « Nous ne devons céder à aucune fascination coupable ou court-termiste : c’est une vision de la mondialisation qui a des vertus de stabilisation de certaines régions, mais qui est hégémonique. »

Marc Semo

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