Publié le 14/06/2019

Vivien PERTUSOT, cité par Wladimir Garcin-Berson dans Le FIgaro

En tête dans les sondages pour succéder à Theresa May, l’ex-maire de Londres Boris Johnson défend une ligne dure sur le Brexit. 39 milliards de livres sont en jeu. Après le «I want my money back» thatchérien, aura-t-on un «I want to keep my money» johnsonien? Favori dans la course pour remplacer la première ministre démissionnaire Theresa May au 10, Downing street, Boris Johnson a lâché une petite bombe, lors d’un entretien accordé au Sunday Times, en présentant ses projets pour le Brexit.

S’il succède à l’actuelle cheffe du gouvernement, l’ancien maire de Londres refusera que le Royaume-Uni paie la «facture du Brexit» tant que l’Union européenne n’aura pas accepté de renégocier les termes de l’accord conclu entre les deux parties.

Mais qu’en est-il vraiment? Inspiré par le truculent président américain Donald Trump, Boris Johnson peut-il forcer l’Union à renégocier ses accords avec le Royaume-Uni? Ou cela mènerait-il à un conflit politico-économico-juridique long, âpre, douloureux et perdu d’avance avec les vingt-sept? Le Figaro fait le point.

Qu’a dit Boris Johnson ?

«Dans un bon accord, l’argent est un excellent solvant et un très bon lubrifiant», a déclaré [1] l’emblématique promoteur d’un Brexit dur: pour forcer l’Union européenne à accorder des concessions au Royaume-Uni, il promet donc que l’argent que doit Londres à Bruxelles «sera conservé jusqu’à ce que nous ayons plus de clarté sur le chemin à prendre». La ligne est claire: pas un sou ne sera transféré sans compensation!

La «facture du Brexit», qu’est-ce que c’est ?

La menace est d’autant plus prise au sérieux que les sommes en jeu sont importantes. Boris Johnson parle ici des engagements pris par le Royaume-Uni dans le contexte du «cadre financier pluriannuel de l’Union européenne». Établi sur sept ans, ce dernier résulte d’un accord approuvé par les États membres, dont la Grande-Bretagne. Celui actuellement en place porte sur la période 2014-2020. Or l’accord arraché par Theresa May à Bruxelles - et rejeté à moult reprises par le Parlement britannique - prévoit que Londres honore ses engagements pris dans ce cadre. Le montant, encore imprécis, est estimé à «39 milliards de livres» par Boris Johnson, soit entre 40 et 45 milliards d’euros, un chiffre qui n’a pas été validé par Bruxelles. S’ajoutent à cette facture d’autres engagements de long terme pris par le Royaume-Uni vis-à-vis de l’Union.

Juridiquement, comment pourrait réagir l’Union ?

Si Johnson devient effectivement premier ministre et met sa menace à exécution, «la Commission européenne pourrait lancer un recours en manquement contre le Royaume-Uni auprès de la Cour de justice de l’Union européenne», sur la base des articles 258 à 260 du traité sur le fonctionnement de l’Union, explique Aurélien Raccah, avocat au barreau de Paris et rattaché au cabinet EleaAvocat. Auquel cas, Bruxelles pourrait théoriquement forcer les Britanniques à payer la somme due. Toutefois, les procédures sont longues - plusieurs années - et nécessitent des négociations de haute volée. Le Royaume-Uni pourrait avoir quitté l’Union avant que la décision soit rendue, auquel cas les décisions de la Cour ne s’imposeraient plus à Londres.

«Si un hard Brexit se confirme, cela devient un conflit de droit international entre l’Union et le Royaume-Uni, qui pourrait être réglé par la Cour internationale de justice (CIJ), siégeant à La Haye», ajoute l’avocat. Toutefois, les deux parties devraient se montrer volontaires pour qu’une procédure soit engagée. Un scénario peu probable. En résumé, la voie légale, bien que réelle, s’avère complexe et tortueuse.

Le Royaume-Uni peut donc s’en tirer sans payer ?

Au-delà de l’aspect juridique, la Grande-Bretagne serait toutefois bien avisée d’éviter la confrontation, qui risque de mettre à mal sa crédibilité sur la scène internationale. «Un tel conflit aurait un effet substantiel sur l’économie britannique en endommageant la confiance qu’on peut avoir envers le pays. Qui voudrait s’associer avec quelqu’un qui s’engage sur un plan pluriannuel et ne respecte finalement pas sa parole?» fait remarquer un connaisseur du dossier.

  • « En se mettant dans une position menaçante, le Royaume-Uni renverrait une image extrêmement négative vis-à-vis de tous ses partenaires commerciaux futurs », renchérit le chercheur associé à l’Ifri et spécialiste du Brexit Vivien Pertusot. « Imaginez la réputation d’un gouvernement qui cherche à négocier des accords de libre-échange alors qu’il est en conflit avec une entité dont il était membre et avec laquelle il a rompu sa parole».

Là encore, Londres et Bruxelles devraient parvenir à un accord avant d’en arriver là, aucune des deux parties n’ayant intérêt à ce que les choses dégénèrent à ce point.

  • Pour Vivien Pertusot, les déclarations de l’ancien ministre des Affaires étrangères britannique visent plutôt à marquer le public britannique: en pleine campagne pour prendre la tête du parti conservateur, «Johnson essaie de modifier la donne en apportant un nouveau thème de discussion par rapport aux points durs, dont l’Irlande. Il change de sujet», en somme.

Comment réagissent les vingt-sept ?

  • Malgré l’absence d’arme légale simple pour contraindre le Royaume-Uni à tenir sa parole, «l’Union est forcée de tenir une posture de fermeté, sous peine de renvoyer une image de faiblesse à l’étranger, qui équivaudrait à dire qu’on peut revenir sur un accord déjà validé avec elle», commente Vivien Pertusot.

Une analyse qui se vérifie actuellement: les déclarations de Johnson ont suscité une levée de boucliers sur le Vieux continent. «Ce qui est sur la table a été négocié avec succès par la Commission et approuvé par l’ensemble des pays membres. L’élection d’un nouveau premier ministre ne changera pas les paramètres» de l’accord, a prévenu la Commission. Les engagements financiers entre le Royaume-Uni et l’Union doivent «être respectés par le prochain ppremier ministre britannique, quel qu’il soit», a martelé son président, Jean-Claude Juncker. «On ne peut pas soumettre l’Union et ses États membres à un chantage», a avancé mardi le secrétaire d’État allemand aux Affaires européennes, Michael Roth, quand l’entourage d’Emmanuel Macron a déclaré qu’un refus de payer reviendrait à un «non-respect d’engagement international équivalent à un défaut sur sa dette souveraine».

Ce dernier point doit cependant être considéré avec prudence: lundi, les trois principales agences de notation se sont opposées à cette analyse. «Nos notes s’appliquent aux obligations de dette commerciale», a déclaré S&P, quand Fitch et Moody’s ont estimé qu’un non-paiement ne constituerait pas un défaut souverain et n’aurait pas d’effet direct sur la note du pays. «Sur le court terme, c’est vrai, mais sur le long terme, la confiance est nécessaire pour avoir des investissements, de l’activité et de la croissance», tempère une source. «BoJo» est donc prévenu: s’il devient premier ministre, une telle décision ne pourrait être prise qu’à ses risques et périls.

Copyright Le Figaro / Wladimir Garcin-Berson [2]

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