Publié le 05/09/2019

Victor MAGNANI, cité par Nicolas Berrod dans Le Parisien

Au moins dix personnes sont mortes depuis dimanche, et la situation diplomatique se tend entre l’Afrique du Sud et ses pays voisins.

Situation très tendue en Afrique du Sud. Des violences xénophobes ont causé la mort d'au moins dix personnes, dont un étranger et de nombreuses scènes de pillages rythment depuis dimanche dernier l'actualité de la deuxième puissance du continent. Le tout entraînant des représailles dans certains pays voisins et un contexte diplomatique avec ces derniers qui s'est durci. On vous explique ce qui se passe dans ce pays surnommé la « nation arc-en-ciel ».

Qu'est-ce qui a entraîné ces violences ?

L'élément déclencheur a été l'incendie, dimanche dernier, d'un immeuble dans le centre-ville de Johannesburg. Au moins cinq personnes sont mortes. On ne connaît pas encore les causes du drame, et on ne sait pas de quelle nationalité sont les victimes, mais cela a entraîné de nombreuses scènes de pillages et de mises à feu de commerces.

Des centaines de Sud-Africains, certains armés de machettes, s'en sont pris à des dizaines de magasins, souvent tenus par des étrangers. Plusieurs quartiers pauvres de Johannesburg ont été concernés dans un premier temps. Puis, ces incidents entre populations en immense majorité noires se sont propagés à Pretoria, la capitale.

Quel est le contexte local ?

Ces violences se nourrissent d'un terreau social très précaire. La pauvreté et la difficulté de trouver en emploi minent les townships, ces quartiers pauvres situés en bordure des zones résidentielles ou d'affaires et où presque aucun blanc n'habite. Si le taux officiel de chômage en Afrique du Sud est d'environ 30 %, « on est bien au-delà dans les townships et parmi les personnes en précarité », souligne Victor Magnani, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de l'Afrique du Sud.

Dans ces zones, les différentes communautés étrangères sont très nombreuses : Nigeria, mais aussi Zimbabwe ou Mozambique, notamment. « Plutôt que la pauvreté, ce sont surtout la rivalité sur le marché professionnel et celle pour l'accès au logement qui peuvent expliquer ces violences. Les étrangers sont considérés comme les boucs émissaires », ajoute Laurent Fourchard, directeur de recherche à Sciences Po.

Ces violences xénophobes sont loin d'être inédites en Afrique du Sud : deux autres épisodes ont eu lieu ces quinze dernières années. En 2008, 62 personnes ont perdu la vie, et sept autres ont été tuées en 2015. « Depuis plusieurs années, la situation sociale a tendance à stagner, et beaucoup d'habitants se rendent compte que leur niveau de vie évolue très peu, ce qui créé des problèmes au sein des populations », pointe Victor Magnani.

Comment réagissent les autres pays ?

En représailles de ces actes très graves, des incidents ont éclaté dans certains pays frontaliers. Au Nigeria, par exemple, plusieurs supermarchés Shoprite et magasins du géant des télécoms MTN, deux groupes sud-africains, ont été attaqués depuis lundi. Soupçonnant une attaque contre ses bâtiments diplomatiques, l'Afrique du Sud a aussi annoncé ce jeudi matin la fermeture de son ambassade et de son consulat au Nigeria.

Sage précaution, puisque ce jeudi, en République démocratique du Congo, le consulat d'Afrique du Sud et un magasin sud-africain ont été attaqués à Lubumbashi, deuxième ville du pays, en marge de manifestations contre les violences xénophobes à Johannesburg.

Plusieurs pays africains, dont le Nigeria et le Congo, ont condamné les violences en Afrique du Sud, dont certains de leurs ressortissants ont pu être victimes. Mais sans aller jusqu'au clash diplomatique. « Il y a eu des déclarations assez fortes du président du Nigeria, mais il y a toujours des relations diplomatiques entre les différents pays pour essayer de prévenir ce genre de violences », estime Laurent Fourchard, dont les travaux portent notamment sur l'Afrique du Sud et le Nigeria.

Quelle pourrait être la sortie de crise ?

Pour espérer calmer les tensions, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a dénoncé mardi des « attaques visant des commerçants étrangers (qui) sont totalement inacceptables ». « Il faut de la part des dirigeants du pays ce genre de prise de position très claire et très ferme pour condamner les attaques, ce qui n'a pas toujours été le cas par le passé », note Victor Magnani.

 « Ces violences sont très préjudiciables pour l'image de l'Afrique du Sud, surtout si des présidents d'autres pays africains s'expriment. À la fin de l'apartheid (NDLR : en 1995), l'Afrique du Sud avait l'image d'un pays extrêmement moteur de l'Afrique et l'ambition d'être le porte-voix du continent, ce qui n'est pas le cas », rappelle le chercheur à l'Ifri.

Certains estiment aussi que les auteurs d'actes xénophobes profitent d'une « immunité » face à la justice, ce qui nourrirait la colère chez les gens attaqués. « Le gouvernement doit prendre des mesures concrètes afin d'amener les auteurs présumés à rendre des comptes », argue Amnesty International.

Dans l'immédiat, la police sud-africaine s'est déployée en masse dans les rues des quartiers où ont lieu les violences. Mais pas sûr que cela suffise, car « il faut aussi que la police soit capable d'intervenir en amont des violences », estime Victor Magnani. Sans compter que les forces de l'ordre sont parfois aussi accusées de violences policières par certains habitants.