Publié le 09/09/2019

Tatiana KASTOUEVA-JEAN, propos recueillis par Pauline Pennanec'h pour FranceInfo

Jean-Yves Le Drian et Florence Parly ont retrouvé leurs homologues russes lundi sous le format "2+2", une première depuis 2012 mais surtout depuis l'annexion de la Crimée en 2014. Un moment "propice" pour "réduire la défiance".

La France tend la main à la Russie. "Le moment est venu, le moment est propice pour travailler à réduire la défiance", avec la Russie, a lancé lundi 9 septembre Jean-Yves Le Drian depuis Moscou, aux côtés de Florence Parly. Les ministres des Affaires étrangères et des Armées ont rencontré leurs homologues russes Sergueï Lavrov et Sergueï Choïgou, prenant la suite du président français qui a multiplié les gestes d'ouverture envers Moscou ces dernières semaines.

Cette réunion à quatre était une première depuis 2012 mais surtout depuis l'annexion de la Crimée en 2014. Aujourd'hui, Emmanuel Macron cherche à insuffler un climat de détente. Voici les raisons qui le motivent.

La Crimée n'est plus un obstacle

Ces discussions à Moscou interviennent au lendemain d'un entretien téléphonique entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron. Les deux présidents ont notamment salué l'échange de 70 prisonniers intervenu la veille entre l'Ukraine et la Russie comme un pas de plus vers la paix.

Pour Tatiana Kastoueva-Jean, chercheuse et directrice du Centre Russie/NEI de l’Institut français des relations internationales (IFRI), la question de la Crimée "n'est pas au cœur du débat" : "L’annexion de la Crimée n'est pas reconnue et ne sera pas reconnue, mais de fait, c'est une question qui ne devrait pas faire obstacle à la reprise des négociations". Selon la chercheuse, le problème à régler pour la levée des sanctions européennes et l'avancée dans les relations, "c’est très clairement l'est de l'Ukraine", dans la région du Donbass. 

Cette région a une frontière commune avec la Russie, et c'est là où s’est concentré le conflit, dès 2014, entre une population pro-européenne et une autre pro-russe. Les manifestations des "antimaidans" (du nom de la place Maidan de Kiev où est né le mouvement anti-russe) se sont transformées en insurrection armée, bientôt suivie de revendications séparatistes pro-russe soutenues par Moscou.

Emmanuel Macron a une carte politique à jouer

Emmanuel Macron espère s'imposer comme la voix de l'apaisement sur la scène internationale, alors que le Royaume-Uni est englué dans le Brexit et qu'en Allemagne, Angela Merkel voit son leadership affaibli.

"Une fenêtre d'opportunités" dont Emmanuel Macron souhaite profiter, "autant sur le plan bilatéral que sur le plan des relations Russie-Union européenne, mais aussi sur les dossiers qui dépassent l'Europe et notamment ceux du Moyen-Orient, la Syrie mais aussi l'Iran", ajoute Tatiana Kastoueva-Jean.

Le chef de l'État français avait appelé fin août à "repenser le lien avec la Russie", estimant que la "pousser loin de l'Europe est une profonde erreur", et à "explorer les voies d'un tel rapprochement", sous "conditions".

Une fenêtre d'opportunité avec Poutine

Vladimir Poutine est demandeur de cet activisme diplomatique français : cela lui permet de montrer qu'il n'est pas isolé sur le plan international, et aussi "de faire avancer ses propres intérêts". Pour autant, la politique d'Emmanuel Macron "risque de susciter beaucoup de critiques dans les pays baltes ou la Pologne".

Les relations entre l'Union Européenne et la Russie, visée depuis 2014 par de lourdes sanctions occidentales en raison de l'annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée et de son rôle dans le conflit dans l'est de l'Ukraine, sont toujours à un niveau très bas. Mais cet été, le chef de l'Etat français a reçu Vladimir Poutine au Fort de Brégançon, juste avant le sommet du G7. Dans le même temps, il a établi un très bon rapport avec Volodymyr Zelensky, le nouveau président ukrainien, qui a aujourd'hui la plénitude du pouvoir en Ukraine.

Une main tendue malgré des désaccords profonds sur plusieurs sujets, comme la Syrie, ce qu'affirme Florence Parly : "Nous n'avons pas toujours la même vision", mais "il est important de pouvoir se parler, d'éviter des incompréhensions, des frictions", a affirmé la ministre des Armées. 

"Il y a une sorte d’alignement des étoiles qui fait que la balance penche bien plus vers le dialogue", entre la France et la Russie, estime Tatiana Kastoueva-Jean.

 

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