Publié le 18/09/2019
New York, USA - 15 mars 2019: Grève de la jeunesse pour le climat.

Carole MATHIEU

À l’initiative d’António Guterres, Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), un grand Sommet sur la protection du climat se tiendra à New York le 23 septembre, veille de l’ouverture de la 74e session de l’Assemblée générale de l’ONU.

En cette fin d’été 2019, les crises environnementales se succèdent : vagues de chaleur en Europe et en Amérique du Nord, épisodes de stress hydrique en Inde, relevés alarmants sur la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, incendies hors de contrôle en Afrique subsaharienne, en Amazonie et en Sibérie, et ouragans dévastateurs dans les Caraïbes. Dans le même temps, les connaissances scientifiques progressent sur les rapports entre dérèglement climatique et érosion de la biodiversité, dégradation des terres agricoles et des océans. Outre un énième rappel de l’urgence à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), que peut-on attendre de ce Sommet ?

Créer une dynamique de révision à la hausse des contributions nationales pour 2030

Ce Sommet marquera tout d’abord l’ouverture d’une nouvelle séquence dans les négociations climatiques internationales. En 2020 débutera la mise en œuvre formelle de l’accord de Paris sur le climat, rendue possible par un franchissement rapide des seuils de ratification et l’adoption lors de la COP24 d’un ensemble de règles opérationnelles (rulebook) figeant une interprétation commune des exigences de l’accord. L’héritage de la COP21 a donc pu être préservé, en dépit de la décision de retrait des États-Unis et de l’obstruction aux négociations pratiquée par l’Arabie Saoudite, la Russie ou encore le Brésil. Cela signifie avant tout qu’un cadre et des instances seront en place pour recueillir les contributions nationales à la lutte contre le changement climatique, mesurer les progrès accomplis dans leur mise en œuvre et encourager un renforcement des ambitions. La perspective est bien celle de corriger progressivement l’incohérence entre les efforts déployés par les parties et l’objectif de maintien des températures moyennes à + 2 °C, voire idéalement à + 1,5 °C.

Ceci étant, une mise en œuvre effective exigera bien plus qu’un simple respect des procédures. Les dynamiques actuelles sont en contradiction totale avec les impératifs climatiques : il n’y a aucun signe de plafonnement des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Au contraire, leur rythme de croissance annuelle s’accélère (+ 1,4 % en 2017 et + 1,7 % en 2018 pour les émissions de CO2 issues de la combustion des énergies fossiles). L’agrégation des contributions nationales de 2015 nous place sur une trajectoire de réchauffement qui est déjà excessive, de l’ordre de + 3 °C. Or, il y a désormais un risque évident que certains engagements ne soient pas tenus, renforçant encore l’ampleur de la menace. Par ailleurs, plusieurs pays du G7 participent à la reconstitution des ressources du Fonds vert pour le climat, pour un montant de 5,5 milliards de dollars, mais cela reste largement insuffisant pour accompagner les pays vulnérables. En somme, l’enjeu est triple : obtenir une revue à la hausse des engagements climatiques, susciter l’adoption de nouvelles mesures d’atténuation et mobiliser davantage de moyens financiers.

L’accord de Paris sur le climat prévoit bien un point d’étape en 2020 ; à cette date, des contributions nationales pour l’horizon 2030 devront être remises, mais celles-ci peuvent procéder d’une simple « actualisation » des versions présentées en 2015, ce qui ne garantit pas leur caractère plus ambitieux. À ce jour, 19 pays ont rejoint la coalition pour la neutralité carbone à l’horizon 2050, s’engageant indirectement à définir des points de passage ambitieux pour 2030 et à s’inscrire dans une trajectoire de décarbonation profonde. À l’origine du lancement de cette coalition, la France ne ménage pas ses efforts pour maintenir le climat au cœur de l’agenda international. Deux déclarations conjointes, la première avec la Chine en juin et la seconde avec l’Inde en août, ont permis de confirmer l’engagement de ces deux grands pays émergents, représentant plus de 35 % des émissions mondiales, d’actualiser leurs contributions nationales « en progression par rapport à leur(s) niveau(x) actuel(s) ». La tenue du Sommet Action Climat sera l’occasion de consolider ces avancées diplomatiques et de faire de la révision à la hausse des contributions nationales un enjeu de crédibilité au sein des Nations unies.

À l’aube d’un virage offensif pour la diplomatie climatique européenne ?

Bien que le groupe des Verts ait renforcé sa présence au Parlement européen à la suite des élections de mai dernier (+ 40 % de sièges) et que la nouvelle présidente de la Commission, Ursula Van der Leyen, ait promis un « Green Deal » aux Eurodéputés, l’Union européenne (UE) n’arrive pas à la table des négociations avec des arguments décisifs. Malgré le ralliement de l’Allemagne et le rassemblement d’une large majorité d’États membres en faveur de la neutralité carbone en 2050, la Pologne, la République tchèque, l’Estonie et la Hongrie ont maintenu leur opposition lors du Conseil européen de juin 2019, exigeant des garanties sur le soutien financier qui accompagnerait leurs efforts de reconversion industrielle. En attendant, l’UE devra se contenter d’un message d’optimisme sur sa capacité politique à adopter dans les prochains mois un objectif de réduction des émissions pour 2030 dépassant les - 40 % par rapport à 1990, et qui pourrait aller jusqu’à au moins - 50 %. L’UE représente 10 % des émissions mondiales de GES en 2018 mais près du quart des émissions historiques, et l’empreinte carbone de chaque Européen reste au-dessus de la moyenne mondiale (6,4 tonnes d’équivalent CO2 par an contre 5). Il est évident que de nombreux pays développés et émergents attendent que l’UE fasse preuve d’exemplarité avant de reconsidérer leurs propres engagements.

Les Européens sont par ailleurs très indécis sur les orientations à privilégier en matière de diplomatie climatique. L’UE envisage un changement radical pour mettre son économie sur les rails de la neutralité carbone, mais elle doit agir en l’absence de garanties sur l’engagement environnemental de ses partenaires commerciaux et se protéger contre les comportements de « passagers clandestins ». À cet égard, le « Green Deal » proposé par Van der Leyen évoque de manière inédite la mise en place d’une taxe carbone aux frontières, en miroir aux outils de tarification du carbone appelés à peser de plus en plus lourdement sur la production domestique. Dans le même esprit, la controverse autour de la ratification des accords de libre-échange avec le Canada et le MERCOSUR illustre la tentation grandissante d’utiliser la politique commerciale, compétence exclusive de l’UE, pour non seulement sécuriser la participation à l’accord de Paris, mais aussi exiger le respect de standards environnementaux contraignants.

Ce virage offensif devra être savamment dosé car s’il faut bien admettre que l’approche entièrement fondée sur des contributions volontaires ne donne pas satisfaction, et que de nombreux grands émetteurs s’éloignent de l’accord (Turquie, Australie, Brésil) les pressions diplomatiques et commerciales peuvent aussi nourrir les tensions, voire s’avérer contre-productives. En mobilisant le G7 sur l’enjeu des incendies en Amazonie et en multipliant les mises en garde à l’égard du président brésilien, les Européens ont aussi provoqué une crise diplomatique. L’UE gagnerait à avoir une stratégie cohérente, crédible et déterminée, maniant carotte et bâton de façon intransigeante et surtout collective. Les pressions doivent en effet susciter une réaction, sans bloquer la coopération. Une vigilance du même ordre sera nécessaire pour mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’UE : assurer son caractère non discriminatoire en commençant par supprimer les allocations gratuites de quotas carbone et autres compensations pour les coûts indirects du CO2 dont bénéficie aujourd’hui une partie de l’industrie européenne, mais peut-être aussi envisager de ne pas s’en tenir au simple contenu carbone des importations pour mobiliser d’autres critères d’équité comme les émissions historiques, les émissions par tête ou encore le niveau de développement.

Structurer la mobilisation des acteurs non étatiques

Enfin, dans la droite ligne de « l’Agenda des solutions » mis en place lors de la COP21, le Sommet Action Climat fera naître de nouvelles coalitions impliquant les territoires, les acteurs privés et la société civile dans des domaines aussi variés que l’énergie, l’industrie, les infrastructures urbaines, la protection des populations vulnérables, la préservation des écosystèmes ou encore la finance. Il s’agira là encore de relever le niveau d’ambition, mais aussi d’établir des outils de suivi, pour éviter de basculer dans une course aux annonces politiques qui négligerait la mise en œuvre opérationnelle. Ces contributions doivent être quantifiables, lisibles et pleinement cohérentes avec les objectifs de l’accord de Paris.

Depuis 2015, la réorientation des flux financiers vers les activités sobres en carbone est ainsi reconnue comme une des clés de la transition et, sous la pression de leurs actionnaires et clients, les acteurs de l’industrie financière s’engagent à aligner leurs stratégies avec les objectifs internationaux. Expansion du marché des obligations vertes, généralisation du reporting climatique et engagements grandissants à ne plus financer certains projets comme les centrales au charbon sont autant de signaux positifs mais force est de reconnaître que les actifs verts ont toujours un poids marginal dans les portefeuilles, y compris dans le cas des investisseurs institutionnels, et sont concentrés dans les pays développés. Pour permettre un changement d’échelle, un groupe d’experts mandaté par la Commission européenne a récemment proposé un système de classification des activités économiques vertes ou « taxonomie », qui traduit les exigences environnementales en un langage clair pour les investisseurs. S’entendre sur des définitions communes, à l’échelle européenne voire mondiale, aurait évidemment pour vertu de simplifier l’analyse et donc de faciliter le ciblage des fonds vers les projets durables. Pour autant, et c’est là l’un des grands défis de la mobilisation des acteurs non étatiques, ces débats méthodologiques sont complexes car ils conservent une part de subjectivité, la notion de « durabilité » pouvant renvoyer à des réalités et des intérêts divergents. Le Sommet Action Climat n’apportera donc pas de réponse définitive, mais il est l’occasion de traiter ces questions dans un cadre multilatéral, pour que ces actions collectives prennent de l’ampleur tout en gagnant en crédibilité.