Publié le 18/11/2019

Elie TENENBAUM, cité par Luc Mathieu dans Libération.

Après avoir ordonné le retrait des soldats américains de Syrie, Washington en a renvoyé plusieurs centaines dans l’est du pays. Le président Trump et le Pentagone invoquent des raisons différentes.

Qui croire ? Le président américain, Donald Trump, ou les haut gradés du Pentagone ? Mercredi, alors qu’il reçoit son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, pour s’entretenir, entre autres, du redéploiement de soldats américains dans l’est de la Syrie, Trump déclare : «Nous gardons le pétrole. Nous avons le pétrole. Le pétrole est sécurisé. Nous avons laissé des troupes seulement pour le pétrole.»

Le 8 novembre, le vice-amiral William Byrne, un responsable de l’état-major américain, affirmait pourtant : «Je ne dirais pas que la mission est de sécuriser les champs de pétrole. La mission est de vaincre l’Etat islamique. Sécuriser les champs de pétrole est une tâche subordonnée à cette mission.» Une position, semble-t-il, partagée par le chef de la diplomatie, Mike Pompeo. «Nous devons continuer le combat contre l’Etat islamique. Les Etats-Unis vont continuer à diriger la coalition, et le monde, dans cet effort essentiel à notre sécurité», a-t-il déclaré jeudi.

Trump est coutumier des déclarations incohérentes et des revirements stratégiques. Mais rarement à ce point. C’est lui, seul, qui a décidé le 6 octobre de retirer les troupes américaines de l’Est syrien. Il n’avait averti ni l’Otan ni les combattants locaux alliés des Etats-Unis, les Forces démocratiques syriennes, qui luttent contre l’Etat islamique. Ce retrait a permis à la Turquie de lancer une offensive le long de la frontière et a poussé les autorités locales kurdes à se rapprocher du régime de Bachar al-Assad et de la Russie. Mais trois semaines plus tard, le même Trump confirme que des troupes sont renvoyées un peu plus au sud, dans les provinces de Deir el-Zor et de Hassaké, là où se trouvent des champs pétroliers et gaziers. Le Pentagone a depuis affirmé qu’environ 600 soldats resteraient en Syrie. Ils étaient moins d’un millier lorsque la Maison Blanche avait annoncé leur retrait.

 

«Explorations»

«Franchement, risquer la mort de soldats pour le pétrole de Deir el-Zor, je ne comprends pas. Les champs sont en fin d’exploitation, cela ne vaut absolument pas le coup», dit un expert du secteur pétrolier qui a travaillé en Syrie jusqu’en 2012. Selon lui, le pétrole se concentre dans des «greniers», des poches séparées des principaux gisements. «Cela signifie qu’il faut les forer directement, cela nécessite beaucoup d’explorations.» Une exploitation commerciale par une compagnie américaine est en outre inenvisageable, la Syrie étant sous le coup de sanctions internationales. Les installations, comme celle d’Omar Field, ont en outre été détruites lors des combats et des bombardements ces deux dernières années pour chasser l’Etat islamique de la région.

  • «En Syrie, le pétrole ne constitue absolument pas une perspective intéressante pour les Etats-Unis. Ils sont déjà exportateurs. Ils ne cherchent pas à en importer davantage depuis le Moyen-Orient, au contraire, même», confirme Elie Tenenbaum, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Comment, dès lors, expliquer le redéploiement de troupes «pour le pétrole», selon les termes du président américain, qui a aussi promis de «mettre fin aux guerres sans fin» ? «Trump et le pétrole, c’est une vieille histoire. Il suffit de se rappeler ses déclarations lors de la guerre en Libye :

  • "Est-ce qu’on y va pour le pétrole ? Sinon, cela ne sert à rien." Il ne voit pas les intérêts sécuritaires ou stratégiques, mais économiques. Je ne sais pas si on lui a soufflé ou non d’envoyer des troupes dans les champs pétroliers, mais le fait est que l’argument lui a plu», poursuit Elie Tenenbaum.

Le Pentagone n’a jamais caché son hostilité à un rapatriement des troupes. En décembre 2018, le précédent ministre de la Défense, Jim Mattis, avait démissionné après que Trump l’avait une première fois ordonné, sans finalement passer à l’acte.

 

«Pion»

Plus qu’un soutien aux forces kurdes et arabes qui ont combattu contre l’EI aux côtés de la coalition, l’état-major américain sait qu’il suffit de quelques centaines de soldats pour empêcher le régime syrien et ses alliés russes et iraniens de reconquérir l’est du pays.

  • «C’est un moyen pour Washington d’éviter que les choses se passent complètement sans lui. Une sorte de pion minimal», explique Elie Tenenbaum.

Les forces américaines empêcheront aussi que les jihadistes de l’Etat islamique ne tentent de se réapproprier les hydrocarbures de l’Est syrien. L’organisation est affaiblie, elle a perdu son territoire, le «califat», et son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, tué dans un raid des forces spéciales américaines le 26 octobre dans la province d’Idlib. Mais elle conserve des partisans, et cherche à se refinancer. «Ne nous arrêtons pas maintenant. Faisons en sorte que l’EI ne revienne plus jamais», a déclaré Pompeo jeudi. Trump ne cesse, lui, d’affirmer que l’EI est vaincu à «100 %».

 

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