Publié le 13/01/2020

Adel BAKAWAN, interrogé par Thomas Guien pour LCI.    

Pays déjà ravagé par les guerres conduites sur son territoire, aussi bien par des puissances étrangères que par des terroristes islamistes, l'Irak est devenu ces dernières années le théâtre d'un conflit par procuration entre l'Iran et les Etats-Unis.

Huit roquettes qui s'abattent dimanche 12 janvier sur une base abritant des soldats américains, quelques jours après le tir de 22 missiles balistiques : l'Irak est devenu de facto le champ de bataille du conflit entre l'Iran et les Etats-Unis. Un conflit qui s'est externalisé sur le sol irakien depuis de nombreuses années et pour diverses raisons.

Bagdad est en effet pris en étau entre ses deux alliés, Washington et Téhéran, grands ennemis depuis des décennies. Une situation qui trouve son origine en 1980, avec le conflit contre l'Iran, mais aussi et surtout en 2003, quand le pays est envahi par les Etats-Unis, qui s'en retirent en 2011. Les soldats américains – actuellement 5200 – sont revenus en 2011, à la tête de la coalition anti-djihadistes. L'occasion de contrer l'expansion de Daech, mais aussi de garder un œil sur le voisin iranien, qui n'a cessé, lui, d’accroître son expansion sur place au fil des ans. 

"Milices lourdement armées"

"C'est en Irak que la République iranienne dispose à la fois de milices lourdement armées et institutionnalisées par l'Etat irakien, a détaillé à LCI Adel Bakawan, chercheur associé à l'IFRI et dirigeant du Centre de Sociologie de l'Irak (CSI). Elles font partie intégrante de ce dernier. Rappelons que l'Iran investit chaque année pour ces milices deux milliards de dollars. En outre, l'Iran dispose d'une base sociale forte en Irak."

Des chiites aux Kurdes, en passant par les sunnites et les chrétiens, l'Iran a en effet des liens avec l'ensemble des partis et groupes armés du pays. Le populiste leader chiite Moqtada Sadr, revenu dans le pays pour se mêler aux manifestants, a ainsi été vu aux côtés de l'ayatollah Khamenei en septembre. Le général Qassem Soleimani, tué par les Etats-Unis à la toute fin 2019,  avait aussi un rôle incontournable, lui qui était sollicité quand il s'agissait de former un gouvernement, de réagir face à la percée de Daech ou au référendum kurde.

"Il faut couper les tentacules de l'Iran"

L'implication est aussi économique : l'Irak, qui était un pays industriel, a vu ses usines fermer depuis 2003 et son agriculture décliner. Conséquence : il est considéré comme un "marché uniquement de consommation", ce qui profite à l'Iran, qui exporte six milliards d'euros de marchandises chaque année. Un exemple : c'est grâce à l'approvisionnement de Téhéran que les foyers irakiens sont reliés à l'électricité plus de la moitié de la journée. C'est dans ce contexte que s'est développée la question sociale ces dernières années, la population contestant le clientélisme et le népotisme dans leur pays, l'un des plus corrompus au monde. "Il faut couper les tentacules de l'Iran", scande d'ailleurs un graffiti sur la place Tahrir de Bagdad, épicentre de la contestation. 

Cette contestation est cependant observée d'un mauvais œil par une frange de la société, pro-iranienne, comme nous l'explique Adel Bakawan. "Pour comprendre les éventuelles conséquences de la mort de Soleimani, il faut rappeler que la société irakienne est composée de deux grandes catégories : celle qui, depuis le mois d'octobre, réclame la fin du système politique mis en place par Washington et prône le slogan : 'L'Irak doit rester libre, l'Iran dehors'. La seconde catégorie, qui a une histoire de plusieurs siècles, descend dans la rue ces jours-ci. Son slogan ? 'L'Amérique dehors, l'Iran doit rester libre'. Eux voient à travers la liberté de l'Iran celle de l'Irak. Ils ne font pas la différence entre les deux pays. Au final, les conséquences seront dramatiques pour la société irakienne. Toutes les hypothèses sont sur la table. La guerre civile entre les deux catégories au sein de la population, le dérèglement de l'Etat, mais aussi la résurgence – qui a déjà débuté – du groupe Etat islamique. Dans ce contexte, rien n'empêche désormais l'Iran de pratiquer la politique de la terre brûlée en Irak."

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