Publié le 23/01/2020

Sophie BOISSEAU du ROCHER, interview parue dans Les Echos. Propos recueillis par Michel De Grandi

La communauté Rohingya reste cantonnée au Bangladesh, de peur de rentrer en Birmanie. Sophie Boisseau du Rocher appelle à une mobilisation pour aider Aung San Suu Kyi à garantir les droits de ces musulmans apatrides.

Bangladesh ou Birmanie, où se trouvent les terres d'accueil des Rohingyas à présent ?

Depuis un an environ, la situation n'a pas beaucoup évolué sur le terrain.  Quelque 900.000 Rohingyas se trouvent toujours dans des camps au Bangladesh, peu enclins à revenir au Myanmar car ils craignent pour leur sécurité. Le Bangladesh n'a d'autre choix que de les accueillir même si ces réfugiés constituent une source de problèmes multiples, à commencer par le coût de leur accueil. L'urgence aujourd'hui est de rechercher une solution pérenne de sortie de crise pour cette communauté apatride et flottante. Bien sûr la vie s'organise dans les camps grâce aux ONG, à l'ONU ou encore à l'Union européenne. Mais la précarité domine, là où une cinquantaine de naissances sont enregistrées chaque jour. A maintenir cette communauté dans cette impasse, le risque est grand de laisser s'installer une forme de routine qui arrange tout le monde à court terme mais qui pourrait se révéler à plus long terme explosive: certains pourraient être tentés de se rapprocher de groupuscules extrémistes qui recrutent dans ces lieux sans espoir.

Quel rôle a joué Aung San Suu Kyi dans la crise des Rohingyas ?

La balle est clairement dans le camp d'Aung San Suu Kyi. Non seulement il faut l'aider à trouver une solution durable, mais il faut aussi obtenir un engagement des autorités birmanes certifiant que rien ne sera engagé contre les Rohingyas à l'avenir. La transition est loin d'être achevée au Myanmar et les militaires restent très actifs dans la vie politique. Dès 2016, c'est à dire avant la vague de répression, la dirigeante birmane a nommé une commission indépendante pour faire un point sur la situation de cette communauté et identifier les responsables des massacres. Curieusement, peu de temps après la publication du rapport, en août 2017, les militaires birmans visés pour diverses exactions dans le rapport ont intensifié les agressions contre cette communauté.  Au plus fort des tensions (mi-août/mi-septembre 2017), le silence d'Aung San Suu Kyi l'a alors desservie car elle a donné l'impression au monde occidental de cautionner les actes des militaires. Cela n'est pas le cas mais en réalité, sa marge de manœuvre est infime. Elle est coincée par des contraintes constitutionnelles qui donnent à la Tatmadaw (l'armée birmane) tout pouvoir sur les affaires de sécurité et par une population bouddhiste, éventuellement manipulée par les moines conservateurs, et hostile aux Rohingyas musulmans qui ne partagent ni la culture, ni la langue de la majorité bamar. On n'a pas suffisamment pris la mesure en Occident de l'étroitesse de son champ d'action.

La Chine semble prête à occuper le terrain laissé par le monde occidental. Peut on parler d'un rapprochement Pékin-Naypyidaw ?

Critiquée violemment par la presse et la communauté internationale, contrainte par des impératifs de résultat, Aung San Suu Kyi n'a pas beaucoup de solutions. L'an dernier, les Etats-Unis et l'Union européenne ont évité la Birmanie. Leurs investissements ont globalement chuté de 14% et les touristes ont eux aussi déserté cette destination. Pendant ce temps, la Chine a maintenu son intérêt et accru ses initiatives.  Le Myanmar est une zone stratégique pour ses Routes de la Soie avec un débouché sur l'océan indien et le golfe du Bengale. Déjà, le gazoduc qui va du port de Kyaukpyu vers le Yunnan est en service et fonctionne parfaitement. Mais soyons clairs : Naypidaw connaît aussi les risques d'une présence dominante des Chinois et souhaiterait avoir le choix de ses partenaires.

 

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