Publié le 23/01/2020

Adel BAKAWAN, cité par Virginie Robert et Yves Bourdillon dans Les Echos. 

Après deux semaines d'accalmie, les manifestations et blocages ont repris en Irak. Les jeunes réclament la chute du régime, corrompu et garant d'un clientélisme confessionnel. Washington affirme que la coopération militaire va continuer.

La contestation a repris en Irak cette semaine, après une accalmie consécutive aux tensions entre Téhéran et Washington. La mort d'un manifestant jeudi matin a porté à douze le nombre de victimes des tirs de police depuis lundi… et à 470 depuis le début du mouvement le 1er octobre. Les manifestations et blocages de routes se sont amplifiés.

Les jeunes réclament du gouvernement des élections anticipées, la refonte de la loi électorale, ainsi que la fin de la corruption et du clientélisme, qui se traduit notamment par une répartition des postes suivant les ethnies et confessions. Des centaines de camions-citernes ont été dans l'incapacité d'approvisionner Bagdad, ce jeudi. Un champ produisant 100.000 barils par jour est également paralysé.

Les jeunes veulent la chute du régime

  • « Le mouvement social est massivement opposé à la présence iranienne en Irak, y compris par les chiites. Le drapeau iranien a été brûlé, un consulat a été incendié », a observé mercredi Adel Bakawan, directeur du centre de sociologie de l'Irak, lors d'une conférence à l'Institut français des relations internationales [1]. Le mouvement contestataire n'est pas, pour une fois, communautaire mais il ne se manifeste pourtant qu'en territoire chiite. Les jeunes aspirent à la chute du régime. « Il y a une perte totale de confiance dans les élites, 85 % des Irakiens préféreraient que le pétrole soit géré par une compagnie internationale plutôt qu'irakienne », assure le chercheur.

 

  • « Entre 2003 et 2020, l'Etat irakien s'est rebâti sur une systématisation de la corruption et il y a une très forte structuration de la société en milices, qui a fait disparaître l'Etat-nation », explique Adel Bakawan. Il dénombre près de 63 milices fortes de 175.000 hommes en armes qui auraient absorbé près de 12 milliards de dollars en financement. Beaucoup d'Irakiens dépendent d'elles pour un emploi ou une éducation.

 

Les Etats-Unis vont-ils rester ?

  • « L'absence de pression sur Bagdad pour trouver une solution politique fait penser à certains que les pays de la coalition ne jouent pas contre Daech. Les Américains considèrent en effet que c'en est fini pour Daech et mobilisent leurs moyens contre les milices qui les dérangent », note Adel Bakawan.

Or l'hypothèse d'un retour en force du groupe terroriste, avec ses cellules dormantes et ses opérations en zones ciblées sur un territoire disputé entre Bagdad et Erbil est à prendre au sérieux.

D'ailleurs, le général américain Alexus Grynkewich a estimé jeudi que Daech est certes affaibli, mais pourrait resurgir si les Etats-Unis quittent l'Irak. Le Parlement irakien a voté début janvier en faveur du retrait des 5.200 soldats américains juste après  l'élimination à Bagdad du chef des forces Qods d'Iran , le général Qassem Soleimani. Cette présence américaine s'inscrit dans le cadre d'une coalition internationale contre Daech à laquelle participe aussi la France.

Ce vote a toutefois eu lieu en l'absence des députés kurdes et sunnites, qui représentent 40 % de l'ensemble des membres du Parlement. Ils estiment que les soldats américains constituent un contrepoids indispensable face à l'ingérence de l'Iran. Le président irakien, Barham Salih, s'est mis d'accord avec son homologue américain, Donald Trump, mercredi à Davos sur le maintien d'une coopération militaire des Etats-Unis contre Daech, sans autres précisions. Le véritable décisionnaire en la matière devrait être, en principe, le chef du gouvernement. Mais le titulaire du poste, Adel Abdel-Mehdi, a été poussé à la démission fin novembre par les manifestations et ne peut depuis lors qu'expédier les affaires courantes.

 

Retrouvez cet article en intégralité sur le site des Echos [2].