Publié le 26/03/2020

Marc JULIENNE, tribune parue dans Libération

En ayant recours à une communication compulsive et mensongère, la Chine s’éloigne de son approche constructive de ces dernières années. Un tournant inquiétant en pleine pandémie mondiale. La pandémie mondiale de Covid-19 est actuellement l’objet d’une joute diplomatique sino-américaine, dans laquelle Pékin fait plein usage de son nouveau style diplomatique offensif, en rupture avec son approche traditionnelle.

Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a récemment diffusé sur Twitter des articles issus d’un site complotiste canadien, suggérant que le Covid-19 proviendrait des Etats-Unis et non de Chine. Ces messages ont ensuite été relayés par des ambassadeurs chinois à travers le monde, et bien entendu par les médias d’Etat. Donald Trump n’a pas tardé à lancer une riposte toute personnelle à laquelle il fallait s’attendre : il ne parle plus que du «virus chinois». Ce qui a eu pour effet d’irriter Pékin au plus haut point.

 

Donald Trump étant l’inventeur de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la «diplomatie du tweet», il est curieux de voir les diplomates chinois recourir aujourd’hui aux mêmes méthodes que lui, sur des réseaux sociaux interdits dans leur pays, pour relayer avec force les positions officielles de leur gouvernement. C’est d’autant plus alarmant lorsque ceux-ci relaient des rumeurs et de fausses informations.

 

Acteur stabilisateur

Quand Donald Trump a été élu 45président des Etats-Unis en novembre 2016, le monde a été traversé par une vague d’incertitude. Alors qu’alliés et adversaires des Etats-Unis s’interrogeaient sur l’avenir des équilibres stratégiques mondiaux, la République populaire de Chine s’était présentée comme l’acteur prévisible et stabilisateur des relations internationales face au trublion américain.

 

Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump s’est retiré du Partenariat Trans-Pacifique, de l’accord de Paris sur le climat, de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA) ou du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires avec la Russie. Il a souvent réservé à ses alliés (de l’Atlantique Nord comme du Pacifique) un traitement pire qu’à ses adversaires, leur mettant la pression pour qu’ils prennent davantage en charge leur propre sécurité. Mettant «l’Amérique en premier», il a mené depuis lors une politique protectionniste, si ce n’est unilatéraliste.

 

Xi Jinping, quant à lui, se présente comme le plus grand défenseur du libre-échange, du multilatéralisme et de la mondialisation, en particulier depuis son discours au forum de Davos en janvier 2017, resté célèbre depuis (le président Trump prenait ses fonctions quelques jours plus tard). Au sommet du G20 de Buenos Aires, Xi Jinping a réitéré son engagement – avec la France et les Nations unies – à mettre en œuvre l’accord de Paris. La Chine, qui était accusée d’être le «passager clandestin» de la mondialisation au cours des deux administrations Obama, semblait endosser, face à Trump, le costume de puissance internationale responsable.

 

Pourtant, en 2019, la Chine a marqué un virage diplomatique inédit. Elle s’est clairement départie de l’attitude traditionnelle de «profil bas» qu’elle maintenait depuis Deng Xiaoping, et prend progressivement ses distances d’avec le principe de «non-interférence dans les affaires intérieures d’autres Etats», hérité de Mao Zedong et Zhou Enlai. La nouvelle posture diplomatique offensive chinoise s’apparente paradoxalement à celle, tant décriée, de Donald Trump.

 

Communication compulsive

Les ambassadeurs chinois en Europe se font les relais de cette nouvelle diplomatie. L’ambassadeur de Chine en Italie a qualifié des parlementaires italiens d’«irresponsables» après qu’ils se sont entretenus par visioconférence avec l’activiste hongkongais Joshua Wong. En Suède, l’ambassadeur a déclaré à la radio publique : «Nous traitons nos amis avec du bon vin, mais pour nos ennemis nous avons des fusils», dans le contexte de l’attribution d’un prix littéraire à Gui Minhai, détenu en Chine. L’ambassadeur chinois en Allemagne a menacé l’Etat allemand de mesures de rétorsion si ce dernier n’autorisait pas l’entreprise privée Huawei à accéder au marché de la 5G. Marché qui, doit-on le rappeler, n’est pas libéralisé en Chine.

 

L’usage de Twitter par les diplomates chinois est un phénomène nouveau qui est bien vu et même encouragé par Pékin. La promotion de Zhao Lijian, le plus médiatique des diplomates, de l’ambassade de Chine au Pakistan au porte-parolat du ministère des Affaires étrangères en est l’illustration. C’est le nouveau style de la diplomatie chinoise, une posture plus offensive et moins soucieuse des faits.

 

Voilà où nous en sommes. Les deux premières puissances économiques mondiales rivalisent par tweets interposés en pleine pandémie mondiale. En utilisant les mêmes armes que Trump, à savoir une communication compulsive et mensongère, la Chine s’éloigne de l’approche constructive qu’elle cherchait à afficher il y a encore quelques années.

 

Ce virage diplomatique est à la fois inquiétant pour nous Européens dans nos relations avec ces deux partenaires, mais il est aussi l’opportunité pour l’Union européenne de réaffirmer qu’elle reste une puissance de dialogue, de coopération et de droit dans un monde en mal de leadership.


Marc Julienne est chercheur, responsable des activités Chine au Centre Asie de l’Ifri

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