Publié le 08/04/2020

Thomas GOMART, interview parue dans Le Monde. Propos recueillis par Marc Sémo

Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales, analyse la nouvelle donne géopolitique créée par une pandémie qui accélère des mutations déjà en cours. Directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), 

Thomas Gomart est historien et spécialiste de géopolitique. Il a récemment publié L’Affolement du monde. 10 enjeux géopolitiques (Tallandier, 2019). Dans un entretien au Monde, il analyse les nouveaux rapports de force entre les grandes puissances et l’irruption sur la scène internationale de nouveaux acteurs comme les plates-formes numériques.

La pandémie de Covid 19 est-elle le révélateur du monde qui vient ?

Elle en est en tout cas l’accélérateur. C’est une crise aiguë de l’interdépendance, qui rappelle que « les vivants se tiennent biologiquement », comme disait Pierre Teilhard de Chardin. En positif, elle marque une étape supplémentaire dans la prise de conscience de l’unité du monde. En négatif, elle avive des tensions latentes, potentiellement explosives. C’est un court-circuit durable de la mondialisation, qui s’inscrit dans des cycles, déjà enclenchés, de coopération, de compétition et de confrontation cognitive, c’est-à-dire de mobilisation, d’orientation et de contrôle des cerveaux. Ce qui est inédit : le confinement simultané de plus de 3 milliards d’individus, qui n’ont jamais été aussi connectés. Si les corps sont bloqués, les cerveaux fonctionnent, avec des conséquences politiques difficiles à prévoir à ce stade.

Trois grands débats se dessinent. Le premier concerne la gestion de la crise, le deuxième les modèles futurs, et le troisième la reconfiguration du système international. Je me concentre sur ce dernier car la politique internationale est un rapport de force avant d’être un débat d’idées. Ou, pour le dire autrement, dans la compétition cognitive, l’impact des modèles dépend moins de leur pertinence que du positionnement international de celui qui les émet.

Qui sont les gagnants et les perdants ?

Les autorités chinoises se mobilisent comme jamais pour faire croire que ce serait la Chine, la gagnate, afin de justifier leur modèle politique non seulement à l’intérieur mais désormais à l’extérieur, et leur discours a viré à une propagande caricaturale. Certes, elles ont montré leur efficacité dans la mise en œuvre du confinement, mais aussi leurs errements au début de la crise. Le bureau de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Pékin n’a été avisé que le 31 décembre 2019. Par contraste, l’Europe et les Etats-Unis semblent en profonde difficulté. Cependant, le jugement sur le vainqueur final ne saurait, à mon sens, être définitif à cause des possibles résurgences de foyers infectieux en Chine....

 

Lire l'interview sur le site du Monde [1]