Publié le 15/04/2020
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Pauline DESCHRYVER, Charlotte GARDES, Théo MARET, Clémence PELEGRIN

La finance verte est un champ en plein développement depuis l’accord de Paris, qui se situe à la croisée d’enjeux financiers, socioéconomiques et environnementaux. 

Elle est de nature hybride : opérant avec des outils financiers, elle se concentre sur les questions environnementales, tout en appartenant au champ plus large de la finance dite « durable », qui adopte une approche élargie avec l’inclusion d’enjeux socioéconomiques et de gouvernance. Elle possède une capacité catalytique pour permettre et accélérer la transition vers une économie bas-carbone et se matérialise par une palette d’instruments qui se multiplient. Des obligations aux indices verts, en passant par les prêts verts, et par la mobilisation de capitaux en expansion, le secteur grandit quantitativement et qualitativement. À elles seules, les émissions de dette dite « verte » ont été multipliées par cinq en près de trois ans pour atteindre 257 milliards de dollars ($) en 2019, soulignant la force d’innovation et d’attraction à l’œuvre.

La finance verte permet d’embrasser les horizons divergents des acteurs publics et privés. Simple outil en apparence, elle pose néanmoins des questions majeures pour le futur de nos sociétés : choisir de ne financer que les secteurs déjà « verts » implique des risques socioéconomiques cruciaux tels que la perte d’emplois dans des secteurs fortement émetteurs (brown), et des actifs échoués (stranded assets). Faire le choix d’une approche séquencée revient potentiellement à verrouiller des activités polluantes sur le long terme et ne pas atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat (effet de lock-in).

Face aux risques physiques du changement climatique (destructions et sinistres) et à ceux liés à la transition énergétique (actifs échoués), le changement climatique est désormais largement considéré comme un risque systématique. Aussi, les acteurs publics et privés se mobilisent – investisseurs institutionnels, banques, régulateurs, banques centrales, assureurs, agences de notation, États, organisations multilatérales – tant pour mieux appréhender les risques posés par le changement climatique que pour saisir les opportunités de ce domaine en pleine expansion. En effet, la finance verte offre au secteur financier les outils lui permettant effectivement de réorienter les capitaux vers la transition bas-carbone. Dans un contexte d’incertitude sur les effets du changement climatique, la finance verte réduit également l’asymétrie d’information sur les risques liés à ces bouleversements écosystémiques majeurs. La structuration et la distribution de produits « verts » sont d’importants vecteurs de croissance pour l’ensemble des acteurs, et ce sur des métiers très variés.

Toutefois, de nombreux risques et défis demeurent : de nature financière, liés notamment aux niveaux élevés de subventions pour la production et la consommation des énergies fossiles et à l’absence d’un prix unique du carbone, ou de prévisibilité sur son évolution lorsqu’il existe ; d’ordre structurel, entravant l’attractivité économique des activités durables, en particulier en matière de rentabilité ; et des signaux politiques peu clairs, entraînant notamment une incertitude réglementaire. En outre, le langage de la finance verte reste fragmenté et encore trop peu lisible : les cadres de reporting et les taxonomies sont nombreux, prévenant une appropriation aisée et uniforme par les acteurs. La standardisation des méthodologies, demandes et calculs, et des divulgations, est nécessaire. Un langage commun, non seulement aux Européens, mais au-delà, s’impose pour assurer une véritable efficacité du financement de la transition écologique.

Pour assurer son effectivité, la qualité et comparabilité du reporting extra-financier doivent être considérablement améliorées. Aussi, le principe de double matérialité de l’information – financière et extra-financière – est critique. La finance verte offre à l’ensemble du système financier des outils pour effectuer sa transition, en évitant à la fois une approche de « niche », mais également une approche laxiste, propice au greenwashing (éco-blanchiment) et néfaste à la croissance du secteur ainsi que, in fine, à l’objectif de transition que la finance verte est censée servir. En tant que source de risque systémique sur le système financier, mais également au regard des défis de financement de la transition, il s’agit de veiller à ce que la notion de finance durable trouve son sens dans l’intégration de « filtres » d’ordre environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans le fonctionnement d’ensemble des marchés financiers.

Les risques de greenwashing, intentionnels ou non, sont nombreux pour les acteurs de marché : faire des choix d’investissement erronés, car mal informés sur les caractéristiques réelles de durabilité ; voir sa réputation discréditée, tant pour les clients que pour les gestionnaires de fonds ; ébranler la confiance et les fondations de la finance verte.

L’Union européenne (UE) a pris le leadership sur ces questions. Le Plan d’action pour le financement de la croissance durable de la Commission européenne de mars 2018 vise à réorienter les flux de capitaux vers une économie plus durable, intégrer la durabilité dans la gestion des risques des institutions financières et favoriser la transparence et la prise en compte du long terme au sein des institutions financières. Ce Plan d’action comprend de nombreux outils tels que, notamment, un Écolabel pour les produits financiers ; l’élaboration d’un standard européen d’obligation verte ; un règlement dit «Disclosure » légiférant sur le reporting extra-financier des acteurs de marché ; la clarification des devoirs des conseillers bancaires et en investissement en matière d’intégration des critères ESG ; et l’intégration de la durabilité dans les exigences prudentielles des banques et des assureurs. L’un des principaux outils réside dans la « taxonomie » européenne des activités économiques durables, qui a vocation à constituer le langage commun du verdissement du secteur financier en s’appliquant, sur une base volontaire au moins, à un large éventail d’acteurs et d’activités. Cette future taxonomie revêt en outre un important potentiel globalisant, susceptible de renforcer la puissance normative de l’UE. Ainsi, ces enjeux sont désormais au cœur des travaux du G20 et de son Financial Stability Board (FSB), mais aussi des Nations unies.

La stratégie de l’UE en matière de finance durable s’inscrit dans la durée, visant à adopter une vision aussi holistique que possible de la réglementation financière et du changement climatique, et ainsi à réorienter pleinement les flux de capitaux vers le financement de la transition. Les prochains mois seront critiques pour l’avenir du secteur, avec la continuation des travaux sur la taxonomie européenne, la préparation des actes délégués suite aux recommandations finales préparées par le groupe technique d’experts sur le financement durable (Technical expert group on sustainable finance – TEG) de la Commission européenne et la mise en œuvre du Green Deal européen.