Publié le 17/04/2020

Éric-André MARTIN, Paul MAURICE, cités par Sébastien Schneegans pour Le Virus de l'info

L’Allemagne fait figure d’exemple européen pour sa gestion de la crise sanitaire liée à la propagation du Covid-19. Sa réussite résulte de l’association de plusieurs facteurs.

Gagner du temps. La stratégie allemande en matière de gestion de la crise sanitaire tient en ces trois mots. Du temps, les autorités allemandes en ont gagné dès le début de l’épidémie, le 27 janvier. L’Allemagne a eu la chance de pouvoir identifier rapidement le « patient zéro », soit la première personne à avoir été contaminée par le Covid-19 sur le sol allemand. Il s’agit d’un employé d’une entreprise de sous-traitance automobile, qui a été contaminé par sa collègue, revenue de Wuhan. L’alerte est aussitôt lancée et les employés infectés ont été placés à l’isolement. Cette rapidité d’action a permis de casser la première chaîne de contamination. Néanmoins, la « réussite » de l’Allemagne dans la gestion de la crise n’a rien de chanceuse. Elle repose sur une myriade de facteurs, lesquels ont été soigneusement imbriqués pour ralentir au mieux la progression de l’épidémie.

L’Allemagne dispose d’une infrastructure hospitalière très solide. « La raison principale de la réussite allemande, c’est la qualité de son système hospitalier », assure Paul Maurice, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa). Avant la crise, l’Allemagne avait déjà une capacité de 25 000 lits équipés de respirateurs, soit 5 fois plus qu’en France. Cette capacité a d’ailleurs été augmentée dans des proportions bien plus importantes qu’en France puisque, désormais, le système hospitalier allemand peut se vanter de posséder environ 40 000 lits. « D’un point de vue structurel, ils avaient une infrastructure hospitalière beaucoup plus solide, beaucoup plus dense, et ils ont été capables de l’augmenter dans des proportions bien supérieures à ce que nous avons fait », résume Eric-André Martin, secrétaire général du Cerfa.

La précocité de la réaction, un élément clé

Les dirigeants allemands ne se sont pas pour autant reposés sur leurs acquis. Dès le début de l’épidémie, ils se sont concertés avec les industries pharmaceutiques afin que les usines de tests, de masques et de lits de réanimation augmentent leurs productions. Cette stratégie de réponse immédiate leur a permis de gagner un temps précieux puisqu’ils ont ainsi pu mener à bien une campagne de dépistage massif. Début mars, un mois après le début de l’épidémie, 50 000 tests hebdomadaires étaient réalisés. Désormais, 500 000 Allemands sont testés chaque semaine et le ministre allemand de la santé, Jens Spahn, s’est fixé pour objectif de porter cette capacité à 200 000 tests par jour.

« Je pense que la précocité des mesures et la rapidité avec laquelle les autorités ont réagi ont été un élément majeur de leur efficacité », analyse Eric-André Martin. Cette politique des tests a permis d’isoler très rapidement les personnes contaminées présentant des risques pour les populations les plus âgées. Ainsi, bien que 21,5% de la population allemande soit âgée de plus de 65 ans contre 19,8% en France, le taux de létalité est aujourd’hui bien plus faible en Allemagne qu’en France. Selon les données de l’université John Hopkins, au vendredi 17 avril, 141 091 cas ont été recensés en France contre 138 135 en Allemagne. Et pourtant, l’Allemagne recense environ 5 fois moins de décès qu’en France (4 093 contre 17 941).

Cette campagne de tests s’appuie sur de solides moyens logistiques. L’Allemagne compte 168 plateformes d’analyse permettant de travailler sur les échantillons alors qu’il n’en existe que 900 dans le monde entier, et 12 en France.  L’Allemagne n’a pas commis l’écueil de ses voisins du Vieux Continent. Elle a souhaité conserver sa puissance industrielle en refusant de délocaliser ses usines et laboratoires pharmaceutiques. « L’Allemagne, même si c’est une puissance économique et commerciale de premier plan au niveau mondial, a veillé à ne pas laisser partir sa capacité industrielle et a gardé des éléments centraux sur son sol, explique Eric-André Martin. Cela lui a donné dans une situation de crise telle que celle-ci la possibilité de réagir très rapidement en comptant sur ses seuls moyens. »

La campagne de dépistage massif s’est avérée d’autant plus efficace qu’elle a même permis de faire face à un problème de taille dans la gestion d’une crise telle que celle-ci : l’Allemagne est un Etat fédéral, et non centralisé comme en France. « Il n’y a que deux mesures qui sont prises au niveau fédéral : la distanciation sociale et l’interdiction des rassemblements de plus de deux personnes », rappelle Paul MauriceAinsi, les modalités du confinement varient largement en fonction des 16 Länder. « Un véritable confinement tel qu’on le connaît en France n’existe qu’en Sarre et en Bavière », ajoute M. Maurice. Cependant, dans l’ensemble des 16 Länder, des mesures de distanciation sociale ont très vite été mises en place, ce qui permet aux Allemands ne présentant pas de risque de contamination de se déplacer librement.

« Les Allemands sont sans doute plus respectueux des règles et ont eu plus à cœur de faire attention », observe M. Martin. Les 16 dirigeants des Länder allemands ont, certes, pris des décisions asymétriques en fonction de la situation de leur Land, mais ils ont démontré leur étroite cohésion, en prenant des décisions communes avec la chancelière Angela Merkel, et en aidant les trois Länder les plus touchés : la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, la Bade-Wurtemberg et la Bavière. Ce qui est « d’autant plus méritoire », selon M. Martin.

La rigueur et l’expertise des dirigeants allemands

La chancelière allemande, Angela Merkel, a suivi une formation de chimiste quantique. Elle a donc su, concomitamment avec l’Institut Robert Koch, qui est un institut de renommée internationale, gérer cette crise avec un point de vue scientifique. « Madame Merkel a eu à cœur de regarder les données, de travailler avec une démarche très en phase avec les scientifiques, ils n’ont pas eu de polémique sur la chloroquine, sur le port de masques etc. Ils ont travaillé de manière extrêmement professionnelle et centrée vers un objectif », explique Eric-André Martin.

Le ministre allemand des Finances et vice-chancelier, Olaf Schloz, a également fait preuve de sérieux en prenant très vite conscience de la nécessité de soutenir économiquement le système sanitaire. « En termes économiques, l’Allemagne a aussi réagi très rapidement puisque Olaf Scholz a, dès la mi-mars, proposé un plan d’aides de prêts sans limites aux entreprises. Cette réaction économique a permis d’assister un système sanitaire déjà très performant », note Paul MauriceCe plan de plusieurs centaines de milliards d’euros prévoit notamment de nationaliser les groupes jugés stratégiques qui seraient menacés de faillite.

La réactivité politique et économique des dirigeants a permis de soutenir le secteur de la Santé et de préserver celle de millions d’Allemands. Pour toutes ces raisons, l’Allemagne peut désormais envisager, avec prudence et pragmatisme, comme ils l’ont fait depuis le début de la crise, d’entrer en phase de déconfinement. À partir de lundi prochain, les magasins de moins de 800 m2 pourront rouvrir. Les coiffeurs devront quant à eux patienter jusqu’au 4 mai, date qui scelle également la réouverture des écoles. Une semaine avant les français, les lycéens allemands retourneront dans les classes. Les crèches, écoles primaires et collèges rouvriront progressivement. Là encore, les dirigeants allemands font preuve de pragmatisme.

Alors, quels enseignements tirer de la gestion allemande de la crise ? Selon Eric-André Martin : « L’exemple allemand prouve qu’il n’y a pas de contradiction à être un pays à l’économie fortement intégrée aux échanges mondiaux, et à conserver des capacités de fabrication sur des industries critiques pour pouvoir faire face à des situations de crise. » L’Allemagne a su gérer cette crise avec un pragmatisme et une rigueur exemplaire. Il serait judicieux de s’en inspirer.

 

>> Lire l'interview parue sur Le Virus de l'info [1] <<