Publié le 18/06/2020

Sophie BOISSEAU du ROCHER

L'Asie du Sud-Est, en tant que zone de front et pivot, est à la fois un laboratoire et une vitrine pour les ambitions de la Chine à développer une grande stratégie de coopération. La création de liens mutuellement positifs est cruciale pour ces deux partenaires, quoique pour des raisons différentes.

Cet article examine l'impact de la "Belt and Road Initiative" (BRI), programme phare de la Chine, sur les États d'Asie du Sud-Est et l'ASEAN en tant qu'institution.

La BRI est porteuse de bonnes et de moins bonnes nouvelles pour l’Asie du Sud-Est. Sur le papier, le programme fournit des moyens considérables pour stimuler le développement régional, pénalisé par l'absence ou le délabrement des infrastructures, contribuant à mieux connecter les abondantes ressources naturelles de la région, ses marchés en expansion et ses centres de production. La BRI peut potentiellement changer la donne dans la région. Son effet transformateur sur les économies peut être comparé à la relance économique initiée par les États-Unis et le Japon au début des années 1970. Le plus frappant est la rapidité du changement engendré par la BRI : six ans après son lancement, des résultats mesurables sont déjà observables. La Chine constitue actuellement pour l’avenir de l’Asie du Sud-Est une force de transformation sans précédent.

Cependant, rien n'est gratuit, compte tenu notamment du niveau d’investissements colossal. La BRI est l’occasion pour les entreprises chinoises de valoriser leur image de marque, au travers de la promotion enthousiaste et diplomate de l’inclusivité et du « gagnant-gagnant ». Mais les risques politiques, financiers, écologiques et/ou sécuritaires n'ont pas été suffisamment examinés. La BRI conduit à un mode de développement dont les nouvelles règles du jeu, normes, réglementations et pratiques, pourraient ne pas être compatibles avec les normes précédentes ou avec l’ouverture traditionnelle de la région aux normes mondiales. Enfin, la Chine pourrait être tentée de poser des conditions implicites et d’utiliser l'initiative comme un moyen pratique, bien que vague, d'étendre son emprise sur la région, de se projeter comme son « leader naturel » et d'accélérer un « retour au centre ». En tant que moteur de rapprochements majeurs, la BRI pourrait provoquer des changements décisifs dans le système d'alliance ; pour les partenaires traditionnels de l'Asie du Sud-Est, elle induit une concurrence systémique impitoyable dans un contexte d'exacerbation des rivalités.

L'Asie du Sud-Est est au cœur de l'ambition de la Chine d'être reconnue comme puissance mondiale. Pékin y voit un maillon essentiel de la chaîne de connectivité. La région entend capitaliser sur cette perception pour construire son avenir. La position des États d'Asie du Sud-Est sur la scène internationale et les routes commerciales est directement affectée par la façon dont ils gèrent la densification de leurs connexions avec la Chine et les leviers politiques qu’elle détiendra de ce fait sur leur avenir ; l'absence d'une alternative cohérente et/ou d'un engagement fort en faveur d’un schéma d'intégration de l'ASEAN pourrait accroître la vulnérabilité régionale.

 

Cette étude est disponible en anglais uniquement : The Belt and Road: China's "Community of Destiny" for Southeast Asia? [1]