Publié le 18/09/2020

Julien NOCETTI, citée par Par Manuel Alaver et Xavier Condamine pour Check News, Libération
L’activiste politique, en convalescence en Allemagne après avoir été victime d’un empoisonnement, représente une opposition en dehors du système politique russe.

Opposant hors système

Pour comprendre ce qui permet de qualifier Navalny de figure de l’opposition, il convient de contextualiser la situation politique et démocratique russe. «La Russie est une démocratie de façade», affirme ainsi Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences en science politique, spécialiste des sociétés post-soviétiques à l’Université Paris-Nanterre.

En effet, il existe deux oppositions en Russie. La première est une opposition dans le système, autorisée et institutionnalisée, représentée par des partis tels que le parti communiste russe ou encore le parti nationaliste LPDR (Parti libéral démocrate de Russie), qui n’ont pas de réelle influence. «Ces partis politiques sont représentés dans les instances, ils font partie d’une opposition qui ''ne dérange pas'' le pouvoir en place», explique la spécialiste.

La seconde, à l’opposé de ces partis d’opposition de façade, relève d’une contestation hors système, qui n’a pas accès aux instances politiques comme la Douma (chambre basse du Parlement russe). Elle est incarnée par Alexeï Navalny.

De fait, l’activiste de 44 ans ne peut pas être considéré comme un opposant au président russe dans les urnes. «Il n’a jamais été autorisé à concourir à l’élection présidentielle contre Vladimir Poutine», souligne Anna Colin Lebedev. Depuis 2017, Alexeï Navalny est ainsi tenu à l’écart du jeu politique par la Commission électorale centrale russe, qui l’a déclaré inéligible jusqu’en 2028, à la suite de plusieurs condamnations en justice pour détournement de fonds et manifestations illégales. Seule exception dans son parcours, l’élection municipale de Moscou, où il s’est présenté en 2013. Battu par le maire sortant, Navalny finira en deuxième position.

«Dans les urnes, on ne peut pas dire que c’est le principal opposant»

«Ce sont les médias occidentaux qui ont inventé cette expression, car dans les urnes, on ne peut pas dire que c’est le principal opposant», précise Veronika Dorman, journaliste à Libération, spécialiste de la Russie et qui revendique l’utilisation de cette formulation pour désigner l’avocat de profession.

En tant que candidat hors système, il est absent des médias télévisés russes, contrôlés par le pouvoir, expliquent les spécialistes. «Navalny a seulement accès à une petite chaîne privée du câble», indique Cécile Vaissié, professeure en études russes à l’Université de Rennes-II.

Du côté du pouvoir, «Vladimir Poutine n’a jamais mentionné le nom de Navalny en public», souligne Julien Nocetti, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de la Russie.

«De manière générale, pour Poutine, tout ce qui vient de la société civile n’a pas trop d’importance, c’est souvent en dehors de son champ d’intérêt», abonde Anna Colin Lebedev. Une manière d’invisibiliser l’opposition.

Figure «la plus reconnaissable»

La qualification de Navalny comme principal opposant est assez récente. L'avocat s’est d’abord fait connaître grâce à ses actions coup de poing contre la corruption et ses appels au «vote intelligent». Cette stratégie consiste à soutenir le candidat le mieux placé face au parti présidentiel lors des élections locales et régionales afin de faire perdre le candidat du pouvoir. Lancée l’an dernier, elle a permis à l’opposition de remporter près de la moitié des sièges [1] lors d’élections locales à Moscou en septembre 2019. La semaine dernière, des alliés de Navalny ont même obtenu des victoires symboliques lors d’un scrutin régional en Sibérie, à Tomsk et à Novossibirsk, troisième ville du pays, où pour la première fois ils avaient pu présenter des candidats selon Le Monde [2].

Aujourd’hui, «c’est la figure la plus reconnaissable de l’opposition», détaille Anna Colin Lebedev.

Surtout, «c’est le plus acharné depuis quasiment dix ans à dénoncer les dérives du système Poutine et de son entourage», précise Julien Nocetti.

 

Lire l'article sur le site de Libération [3]