Publié le 23/10/2020

Laurence NARDON, invitée du journal 13/14 sur France Inter.

La responsable du programme États-Unis de l'Ifri était invitée du 13/14 sur France Inter. À l’occasion de leur ultime débat, les deux candidats sont apparus assagis, note-t-elle, et prévient : si Biden est favori, "il faut absolument se garder de croire que c’est foutu pour Trump".

C'était l'ultime face à face entre Joe Biden et Donald Trump, à 11 jours de l'élection du prochain président des États-Unis. Les deux candidats se sont affrontés jeudi soir pendant 90 minutes, sur un ton assez calme et posé, loin de la cacophonie et des noms d'oiseau du premier débat, le 30 septembre dernier. Que retenir, sur la forme comme sur le fond ? Laurence Nardon, responsable du programme États-Unis de l'Institut français des relations internationales (Ifri), était l'invitée du 13/14 de France Inter pour décrypter cette dernière confrontation.

"Biden a sauvé les meubles"

Sur la forme, un débat "beaucoup plus policé que le précédent", souligne d'emblée la spécialiste, débat "où Trump avait été vraiment très mal élevé et avait interrompu Biden sans arrêt." Selon Laurence Nardon, l'équipe du candidat n'y est pas pour rien : "Je pense que son staff avait dû le briefer à l’avance, lui dire qu’il fallait qu’il soit un peu plus calme. Et puis les organisateurs avaient prévu de pouvoir éteindre les micros deux minutes au début de la réponse de l’un ou de l’autre, pour qu’ils ne soient pas interrompus."

Interrogée par un auditeur qui a trouvé Biden tâtonnant, la chercheuse estime que ce dernier a en fait évité le pire : "Biden a 77 ans et a l’air parfois fatigué. Le camp républicain a martelé pendant des semaines que Joe Biden était fatigué, au point de parler de démence sénile. Sur les débats qu’on a eu, le gros risque pour les démocrates était qu’il y ait un véritable accident côté Biden, qu’il se mette à perdre complètement le fil de ce qu’il disait." Or, "sur les deux ou trois débats qu’on a vus, ça ne s’est pas produit : Biden a sauvé les meubles." Des tâtonnements qui s'expliquent aussi par le fait que Biden, rappelle-elle, est un ancien bègue : "Il est atteint de bégaiement depuis l’enfance, qu’il a réussi à surmonter. Mais parfois il cherche ses mots et c’est à cause de ça."

Biden prend un "risque" assumé sur la question du pétrole

Sur le fond du débat, une déclaration de Biden peut être perçue non comme une "gaffe", mais comme un "risque", selon Laurence Nardon. Le candidat démocrate a en effet proposé de sortir de l’énergie pétrolière... provoquant l’étonnement de Donald Trump, les États-Unis étant l’un des principaux producteurs de pétrole dans le monde. La chercheuse analyse cette prise de position comme un calcul : "D'une part, je pense que c’était éthique de sa part de le dire clairement, car c'est dans son programme. Mais par ailleurs, ses conseillers ont dû calculer que c’était plus important de gagner des voix d’écolos en puissance que de perdre des voix de Texans, qui de toute manière ont déjà voté Trump."

En soi, si cet ultime rendez-vous n'a pas changé grand chose, les jeux étant presque faits, il n'a tout de même pas été vain, analyse Laurence Nardon. "Les Américains sont pour beaucoup d’entre eux déjà fermement décidés et à 95% ils savent déjà pour qui ils vont voter", note-t-elle. "Mais c’était quand même une dernière chance pour les deux, de convaincre les quelques indécis ou les quelques abstentionnistes, et pour les deux de marteler leur message."

"Se garder de croire que c'est foutu pour Trump"

Car "il faut absolument se garder de croire que c’est foutu pour Trump", prévient la spécialiste, interrogée sur une éventuelle défaite de Biden et le rôle clé des swing states, les "États flottants". Si "Biden est vraiment en avance dans les sondages nationaux et va avoir certainement des millions de voix d’avance sur Trump en termes de nombre de bulletins", il faut regarder "ces fameux États flottants" : "Il suffit que Trump ait une toute petite majorité dans certains États pour que tous les grands électeurs de ces États lui soient attribués : autrement dit, même s’il a 50,1% des voix, il obtiendra 100% des voix des grands électeurs de l’État concerné. C’est comme ça qu’on a des distorsions, comme en 2016, entre le vote national et le vainqueur des élections."

À nuancer ceci-dit, car les écarts dans les sondages sont cette fois-ci plus importants : "On voit que cette année l’avance de Biden est beaucoup plus large que celle qu’avait Hillary Clinton il y a 4 ans. On sort de la marge d’erreur dans les sondages et c'est ça qui rend le camp démocrate relativement confiant."

Et le coronavirus, dans tout ça, peut-il jouer un rôle décisif dans l'élection ? Oui, selon Laurence Nardon, avec un "impact très négatif" sur les chances de réélection du président sortant : "D’une part, parce qu’il y a eu plus de 220.000 morts et on a bien vu que Trump traitait l’affaire pas très sérieusement. Mais aussi parce qu’indirectement cette crise du coronavirus a fait chuter l’économie américaine. Il y a eu 14% de chômage au mois de juin. Aujourd’hui on est redescendu à 8% mais avant l’épidémie, c’était 2% de chômage aux États-Unis. Cet écroulement de l’économie est absolument instrumental dans la possible défaite de Trump dans 15 jours."

> Une émission à écouter sur le site de France Inter [1]. [2]