Publié le 10/12/2020

Florian VIDAL, Invité par Florian Delorme sur France Culture

Le pouvoir russe tient un discours plus qu'ambivalent concernant le changement climatique, préférant appeler à s’y adapter. Comment expliquer le discours aux accents climatosceptiques de Vladimir Poutine, alors que son pays est l’un des premiers concernés par le réchauffement climatique ?

Fin mai, le déversement de vingt mille tonnes de diesel dans une rivière de l’Arctique a provoqué l’indignation locale et la colère de Vladimir Poutine, déclenchant des sanctions exemplaires à l’encontre des responsables présumés de la catastrophe. L’affaire illustre la préoccupation croissante des autorités russes à l’égard des problématiques environnementales, mais également la réalité du réchauffement en Russie, plusieurs experts attribuant le décrochage de la cuve défectueuse à la fonte du pergélisol. Ce sous-sol gelé couvre quelque 60% du territoire russe, en particulier le nord sibérien, et sa dégradation sous l’effet des changements climatiques devient une importante source d’inquiétude. 

En effet, alors que le pouvoir russe a longtemps présenté le réchauffement comme une opportunité, entre facilitation de l’agriculture en Sibérie et nouvelles routes maritimes au Nord grâce à la fonte des glaces, la multiplication des incidents liés au pergélisol laissent apparaître d'autres perspectives : affaissement de routes et de chemins de fer, fissures, voire effondrement de bâtiments… En Iakoutie et dans la région de Norilsk, c’est un scénario menaçant qui se dessine. Pour autant, le pouvoir russe garde un discours ambivalent concernant le changement climatique, préférant appeler à s’y "adapter" qu’à le combattre. Avec, en arrière-plan, une économie rentière qui doit tout aux hydrocarbures, et ne semble pas près de s’en passer.

Comment expliquer le discours aux accents presque climatosceptiques de Vladimir Poutine, alors que son pays est l’un des premiers concernés par le réchauffement ? Les récentes catastrophes industrielles, comme le déversement pétrolier dans l’Arctique, et "naturelles", comme les incendies en Sibérie, pourraient-elles infléchir la politique du Kremlin, ou, à défaut, la perception du problème par la population ? En quoi consiste "l’adaptation" au changement climatique prônée par Moscou ?

Une discussion en compagnie de Florian Vidal, chercheur au centre Russie/NEI de l’Ifri, spécialiste de l’écologie politique et de l’Anthropocène, et de Laurent Coumel, maître de conférences à l’Inalco, chercheur rattaché au Centre de recherches Europes-Eurasie, et affilié au Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC, CNRS-EHESS). 

Il faut lire entre les lignes des engagements de la Russie lors de l'Accord de Paris. Ce chiffre de 30 % de réduction d'émissions de gaz à effets de serre est posé, par exemple, sous la condition d'une prise en compte des capacités d'absorption maximale des forêts. Or la Russie dispose de la plus grande surface boisée au monde : on laisse donc à la Russie un "droit à polluer" qui va permettre à la Russie d'augmenter ses émissions tout en respectant ses engagements. Laurent Coumel

En juin 2020, le gouvernement russe a publié une feuille de route pour développer la filière du charbon jusqu'en 2030. C'est la cinquième source de revenus du budget fédéral, le modèle économique russe est clairement celui d'une puissance extractive. Mais le fait que la Russie maintienne, aujourd'hui, sa mise sur le pétrole, le gaz et le charbon pourra poser un problème, à l'avenir, de déconnexion par rapport à ses partenaires principaux - l'Union européenne et la Chine - qui, eux, décarbonent leurs économies. Florian Vidal
 

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