Publié le 10/02/2021

Sophie BOISSEAU du ROCHER, édito paru dans Ouest France

Pour Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse à l’Institut français de relations internationales, avec la nouvelle de l’arrestation d’Aung San Suu Kyi et des principaux dirigeants de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LDN) en Birmanie, le monde a réalisé la complexité de la situation dans ce pays.

« Quand la nouvelle de l’arrestation d’Aung San Suu Kyi et des principaux dirigeants de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LDN) est tombée dans la nuit de dimanche à lundi, le monde a réalisé combien fragile et précaire était toute transition politique, et combien complexe était aussi la situation dans ce pays aux méandres insoupçonnés.

Icône trop vite promue et trop vite déchue

La dernière image que l’on avait de cette icône, trop vite promue et trop vite déchue par un Occident souvent émotionnel, était celle de novembre 2020 quand son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie, avait obtenu une victoire sans équivoque lors des élections législatives en remportant 82,5 % des sièges pour moins de 10 % pour le parti de l’Armée, le parti de l’Union, de la solidarité et du développement. Le commandant en chef, le général Min Aung Hlaing, a jugé que le temps pressait parce que la transition évoluait de manière « incontrôlable ».

« Contrôle » : c’est évidemment le mot-clef des militaires, le même qu’ils utilisent depuis que le général Khin Nyunt a lancé sa « feuille de route pour la démocratie » en 2003. En accompagnant le processus, la Tatmadaw voulait en garder la maîtrise. C’était sans compter sur le caractère têtu, voire autoritaire, et habile de l’icône.

Bras de fer a commencé dès son installation au pouvoir

Le bras de fer a commencé dès son installation au pouvoir. En vertu de la constitution de 2008 qu’ils avaient eux-mêmes rédigée, les Forces armées gardaient le contrôle sur trois ministères régaliens (Armée, Sécurité intérieure et frontières), sur 25 % des sièges qu’ils se réservaient au Parlement (et surtout obligeaient que toute loi concernant un changement de la constitution soit validée à plus de 75 %) et empêchaient tout citoyen birman marié à un étranger (ce qui est le cas d’Aung San Suu Kyi, dont le mari était britannique) à accéder aux plus hautes fonctions. En fait, l’Armée faisait le calcul suivant : sans sa dirigeante, le parti – mal organisé et sans aucune expérience du pouvoir – ne pourra tenir aux affaires. La grande habileté d’Aung San Suu Kyi a été d’inventer son titre, « Conseillère spéciale », et de s’octroyer la fonction de ministre des Affaires étrangères pour garder un accès direct aux chancelleries étrangères. Et de se mettre au travail, certes avec des faiblesses mais avec ardeur et quelques résultats.

Second bras de fer, la crise des Rohingyas

Le second bras de fer a été la crise des Rohingyas qui s’est produite – hasard étonnant ? – au moment même où Kofi Annan rendait le rapport de la Commission qu’il dirigeait et qui était chargée par Aung San Suu Kyi de trouver une solution durable au dossier sensible des Rohingyas. Ce rapport est parti aux oubliettes et les Rohingyas au Bangladesh, solution optimale pour l’Armée. L’Occident a crié au scandale quand son icône s’est rendue elle-même à La Haye (décembre 2019) pour défendre la position de son pays, essayant implicitement de faire comprendre que rien n’est vraiment simple ni facile au Myanmar et que tout jugement hâtif est forcément erroné.

Le troisième bras de fer a été lancé en mars 2020 quand la LND a tenté une action au Parlement pour amender la constitution. L’Armée a réagi rapidement mais a senti la menace. Avec une majorité absolue encore plus confortable, il était évident que le dossier allait repasser. Le général Min, qui a aussi un agenda politique personnel en tête, lui a coupé l’herbe sous le pied.

En décrédibilisant la démocratie, l’Armée ramène la Birmanie-Myanmar à ses démons anciens. Personne n’est dupe de son discours visant à  mettre en place une démocratie véritablement multipartite , sauf peut-être le général Min et ses proches. Un discours performatif qu’il aura appris à l’école du grand voisin chinois. »

> Lire l'article sur le site de Ouest France [1]