Publié le 01/01/2021

Françoise NICOLAS

L’arrivée de Joe Biden à la présidence des États-Unis devrait faire évoluer la relation de ce pays avec la Chine, sans pour autant revenir à la situation de l’ère pré-Trump. La relation sino-américaine aura des implications pour l’Union européenne.

Les différentes capitales européennes ont accueilli avec soulagement l’élection du démocrate Joe Biden à la présidence des États-Unis. L’espoir suscité par ce changement concerne deux domaines : la relation transatlantique et la relation sino-américaine. Sur le premier point, les Européens anticipent que la relation transatlantique, une fois remise sur les rails, permettra de faire face de manière coordonnée à de nombreux défis allant du changement climatique, à l’après-COVID-19, en passant par la gestion de la montée en puissance économique de la Chine. Quant à la relation sino-américaine, elle pourrait se normaliser après quatre années de présidence Trump, au cours desquelles elle s’était envenimée au point de se muer en une véritable guerre commerciale dont les répercussions n’avaient pas épargné les économies européennes. Mais les espoirs placés dans la nouvelle administration Biden ne sont-ils pas démesurés ?

Une nouvelle stratégie chinoise

L’ampleur du choc économique engendré par la crise de la COVID-19 a été inégale d’un pays et d’une région à l’autre et la sortie de crise plus ou moins rapide. Frappée en premier, la Chine a été la première à retrouver la croissance et elle devrait être la seule grande économie à enregistrer une croissance positive sur l’ensemble de l’année 2020. Cette évolution confirme le basculement de l’économie mondiale vers l’Asie, où l’essentiel de la croissance devrait désormais se jouer.

Dans ce contexte favorable, les ambitions économiques de Pékin continuent de s’affirmer. Le 14e plan quinquennal chinois, dévoilé le 30 octobre dernier à l’occasion de la 5e session plénière du 19e Comité central du Parti Communiste Chinois, consacre l’émergence du nouveau concept de « double circulation » (ou « circulation duale ») lancé par le président Xi Jinping en mai dernier et dont l’objectif est d’accorder plus d’importance au marché intérieur (la circulation interne) et de réduire la dépendance à l’égard du marché extérieur (la circulation externe) sans toutefois s’en détourner complètement. Le plan permet de se faire une idée de la direction choisie par Pékin pour la poursuite du développement de son économie. Confronté à un ralentissement de la croissance et à des tensions persistantes avec les États-Unis, le gouvernement chinois a pris acte de la nécessité de revoir son modèle de développement fondé jusqu’alors en grande partie sur les exportations, mais aussi sur l’investissement.

L’objectif de cette nouvelle stratégie est d’une part de faire la part belle à la consommation intérieure de manière à en faire un moteur important de la croissance, et d’autre part d’encourager l’innovation technologique afin de permettre aux entreprises chinoises d’améliorer leur positionnement au sein des chaînes de valeur et de renforcer leur autonomie technologique. Ces deux objectifs sont d’ailleurs liés : la montée en gamme technologique devrait faciliter l’internationalisation des entreprises chinoises, mais aussi relever le revenu des ménages, condition sine qua non pour dynamiser la consommation intérieure.

Si l’objectif de rééquilibrage économique, tant extérieur qu’intérieur, n’est pas nouveau, les moyens d’y parvenir diffèrent dans le cadre de la nouvelle stratégie de circulation duale. En effet, il ne s’agit plus de réduire les exportations mais plutôt de limiter les importations afin d’accroître l’autonomie de l’économie chinoise vis-à-vis du reste du monde. La circulation duale est en tout état de cause en parfaite cohérence avec le programme « Made in China 2025 » lancé par le premier ministre Li Keqiang en 2015, dont l’objectif était de permettre à la Chine de monter en gamme dans de nombreux secteurs de haute technologie afin de réduire sa dépendance à l’égard des technologies étrangères. Cet objectif d’autonomisation technologique est également au cœur du plan « China Standards 2035 », qui vise à permettre aux entreprises chinoises de participer à l’établissement des normes mondiales pour les technologies de la prochaine génération (intelligence artificielle, internet des objets, big data, etc.). Si la Chine se défend de chercher un découplage économique à l’égard des États-Unis et de l’Occident, force est de constater qu’elle continue de s’inscrire dans une logique de rivalité technologique avec les États-Unis, et au-delà, de lutte pour la suprématie. Les efforts déployés pour renforcer le statut du yuan ne font qu’étayer cette hypothèse.

Maintien d’une posture américaine dure à l’égard de la Chine

Du point de vue de Pékin, la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie de développement s’impose aujourd’hui de manière pressante compte tenu de l’hostilité croissante des États-Unis à son égard. Ces derniers estiment en effet aujourd’hui avoir commis une erreur stratégique en facilitant l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale dans l’espoir de la faire évoluer, tant économiquement que politiquement, vers le modèle libéral occidental. En fait la Chine aurait, à leurs yeux, tiré un bien meilleur parti de la mondialisation que le reste du monde, ce qui justifie de la traiter désormais plus durement. C’est ce qui expliquait la guerre tarifaire engagée par l’administration Trump contre la Chine. Or le constat de l’échec de la stratégie chinoise des États-Unis est partagé des deux côtés de l’échiquier politique américain, c’est pourquoi la confrontation avec la Chine a toutes les chances de se poursuivre sous une administration démocrate, même si les modalités en demeurent pour l’instant inconnues. L’hostilité croissante du Congrès à l’égard de la Chine ne manquera pas de peser sur les choix du futur président.

S’il ne fait guère de doute que la stratégie poursuivie par le Président Trump de confrontation directe avec la Chine et d’utilisation agressive de l’arme commerciale ne sera pas maintenue, elle ne devrait pas être totalement abandonnée, tout au moins dans un premier temps. Le président élu Biden a d’ailleurs d’ores et déjà annoncé qu’il ne reviendrait pas immédiatement sur les droits de douane imposés par l’administration Trump sur les produits chinois, pas plus qu’il n’annulerait l’accord dit de phase 1 passé entre les deux parties au début de l’année 2020.

Pour autant, l’expérience acquise au cours de la présidence Trump a démontré qu’il ne suffisait pas de conduire une politique dure envers la Chine, encore aurait-il fallu qu’elle fût habile. Dès lors plusieurs changements devraient intervenir dans la stratégie chinoise des États-Unis.

La nouvelle administration devrait tout d’abord inscrire son action dans le cadre multilatéral. Le président a clairement affirmé son soutien au multilatéralisme et devrait donc se détourner des pratiques unilatérales agressives de l’administration sortante. Elle devrait en outre se rapprocher des partenaires et alliés traditionnels des États-Unis plutôt que de continuer à agir isolément (et parfois contre eux, comme l’a fait le président Trump). En effet, agir de conserve est par exemple le seul moyen pour que les contrôles des exportations et autres sanctions puissent porter leurs fruits. Bien que l’horizon semble se dégager pour l’avenir de la relation transatlantique, la difficulté viendra de ce que les deux parties sont loin de s’accorder sur tous les sujets. Les désaccords sur la question de la gouvernance de l’internet ou encore sur la taxation des grandes entreprises du numérique constituent des exemples parlants. Faire front uni contre la Chine n’ira pas de soi.

La probabilité est finalement assez faible que la relation sino-américaine s’apaise avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison blanche et le cours de l’économie mondiale devrait continuer d’être dépendant des aléas auxquels elle sera soumise, plaçant parfois l’Union européenne et ses membres devant des choix délicats. Une chose est sûre, il est illusoire de croire qu’un retour au monde d’avant est possible.

> Article paru dans la Revue Banque n° 851-852, janvier 2021, pp. 90-91. [1]