Publié le 01/05/2021

Marc JULIENNE, cité par Aubin Laratte dans Le Parisien.

La Chine s’apprêterait à annoncer une baisse de sa population, une première depuis les grandes famines dans le pays. Avec une population vieillissante, le régime communiste doit aujourd’hui revoir son modèle.

Il est depuis des décennies l’étendard de la Chine, presque une fierté : le résultat de son recensement, mené tous les dix ans. Celui pour l’année 2020, après le précédent de 2010, aurait dû être publié début avril… mais il n’en est rien. Il y a « des travaux de préparation supplémentaires à mener », a expliqué le bureau national des statistiques. Selon le Financial Times [1], la musique est toute autre : la Chine devrait annoncer, pour la première fois en soixante ans, une baisse de sa population. Un risque pour le Parti communiste.

Selon le Financial Times, la Chine annoncera compter moins de 1,4 milliard d’habitants. Pour la première fois, l’Empire du milieu amorcerait donc un déclin démographique. Il faut remonter aux grandes famines des années 1950 pour retrouver un phénomène similaire. Le bureau national des statistiques a démenti les informations du journal américain, sans toutefois apporter de chiffres.

« Rien ne se passe du jour au lendemain, la démographie est basée sur des dynamiques très longues et ces informations ne détonnent pas, explique Marc Julienne, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), spécialiste de la Chine. Ce moment était attendu. » Des chercheurs l’avaient d’ailleurs déjà relevé par le passé, certains disant que le déclin avait été amorcé en 2019, mais la Chine ne l’avait jamais officialisé.

Une démographie qui en fait une puissance

En Chine, la démographie s’observe comme le lait sur le feu depuis toujours. « C’est un enjeu politique très fort : ce qui fait de la Chine une grande puissance, c’est sa démographie avec une population jeune et très nombreuse », explique Marc Julienne. Et le chercheur de pointer : « Ce n’est plus la réalité. »

Les Chinois payent ici la politique de l’enfant unique, initiée en 1979 pour contrer la surpopulation. À partir de cette date, et jusqu’en 2015, année de sa levée, les couples chinois ne pouvaient avoir plus d’un enfant, sous peine de sanctions et d’avortement forcé. De 2,74 enfants par femme en 1979, ce chiffre surfe entre 1,6 et 1,7 depuis 1995. « Cela a entraîné une question de déséquilibre entre les sexes : pour des raisons culturelles et pragmatiques, car c’était une Chine rurale et agricole, on préférait avoir un garçon… au point qu’il y a eu des bébés assassinés à la naissance », rappelle Marc Julienne. Il y a ainsi, en Chine, 1,06 homme pour une femme.

À cette politique de l’enfant unique, qui a mis un coup de frein à la croissance démographique, s’est ajouté un vieillissement de la population : les enfants nés avant 1979, qui ont des frères et sœurs, et qui sont donc plus nombreux, sont aujourd’hui à la retraite ou le seront dans les prochaines années. On estime qu’en 2030, « 30 % de la population chinoise aura plus de 60 ans », explique Marc Julienne. Autrefois tournée vers le monde extérieur, avec une force d’exportation, la Chine doit aujourd’hui se concentrer sur elle-même pour s’occuper de ses aînés, toujours plus nombreux.

Une transition devenue primordiale

Les faiblesses de la démographie chinoise ne sont pas une découverte. L’abandon de la politique de l’enfant unique, il y a cinq ans, en était une réponse, mais il n’a pour l’heure eu aucune incidence significative sur la natalité. Pire : la Chine a compté en 2020 « seulement » 10 millions de naissances, un chiffre au plus bas depuis des décennies, en partie à cause de la crise sanitaire.

L’« atelier du monde », comme la Chine est souvent surnommée, manquera-t-elle bientôt de main-d’œuvre ? « C’est quelque chose dont on discute, en Chine, depuis 10-20 ans. On entame une transition, petit à petit, d’un modèle basé sur l’exportation à un modèle basé sur la consommation, avec plutôt des services », explique Marc Julienne. La Chine espère aussi utiliser la technologie et l’automatisation des tâches pour combler les lacunes, et ambitionne ainsi de devenir la plus grande puissance technologique mondiale.

La situation est telle que le régime pourrait être obligé de repenser son modèle social. « S’il n’y a pas eu de changement après l’abandon de l’enfant unique, c’est qu’il y a une habitude à avoir un seul enfant, mais aussi que ça coûte cher : la santé, l’éducation, et même se loger coûtent cher », rappelle Marc Julienne. Sans politique nataliste, avec des aides financières ou des incitations fiscales, la Chine aurait dû mal à relancer sa croissance démographique. « Les plus âgés vont peser de plus en plus sur l’économie alors que les plus jeunes seront de plus en plus minoritaires », décrypte le chercheur. Au risque de bouleverser l’équilibre établi ?

Le contrat social chinois en question

« Il y a un contrat social en Chine qui repose sur le parti unique : le régime a le monopole de l’activité politique, les citoyens ne s’en occupent pas. En échange, le parti leur fournit développement, croissance, consommation, augmentation du niveau de vie… » expose Marc Julienne. C’est pour cette raison que le problème démographique est pris très au sérieux : avec une jeunesse sans perspectives, moins bien payée car devant payer pour les aînés, c’est toute la « stabilité sociale », chère au Parti communiste, qui pourrait être remise en question.

Un autre enjeu pour la Chine, à travers sa démographie, est sa place sur la scène internationale à un moment où l’Empire veut peser plus que jamais, au point d’attirer de la méfiance vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Europe. L’Inde (1,366 milliard d’habitants), qui la talonne, pourrait lui ravir la place de pays le plus peuplé du monde. « La Chine a beaucoup de défis sur la scène internationale, mais ses plus gros défis sont internes et démographiques », note Marc Julienne. Et le chercheur de le rappeler : « Beaucoup disent que les Printemps arabessont nés d’un problème démographique. »

 

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