Publié le 24/08/2021

Elie TENENBAUM, pour Télérama.fr

Comme le montre le documentaire “11 Septembre : 20 ans après, le retour des talibans”, disponible en replay sur 6play, la reconquête du pays par le mouvement fondamentaliste islamiste a été patiemment élaborée. L’éclairage d’Elie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l’Ifri.

Passer pour les libérateurs du pays
« Le retour des talibans était prévu et prévisible. Lorsque le 14 avril 2021, le dernier soldat américain quittait le sol, ils occupaient déjà la moitié du pays. La communauté internationale, résignée, savait que l’intervalle démocratique mis en place ne tiendrait pas longtemps. La seule surprise est la vitesse à laquelle c’est arrivé. Le poids politique et militaire du régime afghan a sans doute été surestimé. En revanche, on a sous-estimé les effets de l’annonce du retrait américain qui, d’un côté, a plombé le moral de l’armée afghane et, de l’autre, a galvanisé les talibans. Ils sont entrés triomphants dans Kaboul, en violant au passage l’accord de Doha de 2020 où ils s’engageaient à ne pas recourir aux armes. Ils ont vu l’opportunité d’apparaître comme les libérateurs et de faire en sorte que ce retour soit perçu comme une victoire. »

Profiter de vingt années de chaos
« Depuis 2001, les erreurs de jugement, les approximations internationales et l’incapacité de l’élite politique afghane à s’extraire de son intérêt personnel immédiat n’ont pas permis de construire un projet de société. Aucune proposition n’a émergé et l’insécurité est restée permanente dans le pays. C’est une nouvelle fois la démonstration de notre incapacité à proposer une alternative politique dans cette région, comme auparavant en Irak ou au Sahel. Enfin, pour une partie de la population afghane, notamment les jeunes et les femmes qui avaient profité de cette période pour accéder aux études, à des emplois et se projetaient dans l’avenir, le sentiment d’abandon et la désillusion sont immenses. »

Gagner le soutien de la Russie ou de la Chine
« Les talibans se sont lancés dans une quête de respectabilité internationale et multiplient les opérations de séduction vers de futurs partenaires de poids. Ce n’est plus l’État paria au pouvoir de 1996 à 2001. Désormais, à leurs alliés historiques comme le Pakistan, le Qatar ou l’Iran, s’ajoutent la Russie ou la Chine. Cette dernière, qui a laissé son ambassade ouverte à Kaboul, a annoncé qu’elle était prête à travailler avec le nouveau pouvoir et avait d’ailleurs reçu il y a quelques mois une délégation de talibans à Pékin. Nous ne sommes pas dans la situation de 2001 où la communauté internationale, en ordre de bataille, affichait des positions communes. De leur côté, les talibans ne doivent avoir aucun lien avec le terrorisme et ne doivent pas être soupçonnés d’accueillir, former ou protéger une quelconque mouvance djihadiste. S’il ne verse pas dans la provocation et ne se met pas la population à dos, ce pouvoir, qui reste un mouvement fondamentaliste traversé par une idéologie extrémiste, peut s’installer dans la durée. »

S’appuyer sur de nouvelles ressources
« Il est difficile de prouver l’implication des talibans dans le trafic de drogue. On sait juste que dans l’ombre du pouvoir en place, ils ont favorisé la culture du pavot. Il faut savoir qu’un hectare de pavot correspond en termes de rentabilité à 27 hectares de blé. Alors bien qu’interdites par la communauté internationale, les récoltes ont explosé. N’étant pas directement impliqués dans la transformation du produit et encore moins dans sa distribution, les talibans ne peuvent être accusés de quoi que ce soit. Ils se contentent simplement de percevoir la taxe islamique comme sur l’ensemble des autres récoltes, en prélevant entre 2,5 et 10 % des revenus des agriculteurs. Vu le succès et les ressources générées, cette perception très efficace leur a permis de s’enrichir. Et ça ne va pas s’arrêter. »

“Il y a une urgence humanitaire liée au sort de plusieurs milliers d’Afghans directement menacés de représailles, même si les talibans jurent le contraire.”

Unifier les forces dans la région

« En plus de la com, ils ont travaillé à mieux comprendre les attentes de leur population sans toutefois dévier de leur projet politique fondamentaliste et ultra violent. Ils ont unifié toutes les communautés ou ethnies, ce qui leur permet d’avoir un contrôle social et territorial beaucoup plus étroit et mieux organisé. Leur victoire a également eu un effet euphorisant sur la grande majorité des mouvements djihadistes à travers le monde. Il faut savoir que lorsqu’on prête allégeance à al-Qaida, par exemple, on se soumet également à l’émir des talibans, ce qui situe le sommet de leur hiérarchie, leur importance et leur statut à part. Leur retour n’est pas non plus sans conséquences en Asie centrale, où certains groupes djihadistes du Tadjikistan ou d’Ouzbékistan pourraient trouver une base arrière en Afghanistan. Il va juste falloir qu’ils restent prudents en affichant leurs soutiens au risque de se mettre en danger diplomatiquement. »

Contrôler les réseaux d’information
« Il y a une urgence humanitaire liée au sort de plusieurs milliers d’Afghans qui sont directement menacés par l’appareil de représailles, même si les talibans jurent le contraire. Des listes ont été constituées, les règlements de compte ont débuté et on sait que ce régime sera sans pitié. Pour la communauté internationale, il est urgent de rétablir des réseaux de renseignements sur le terrain qui ont été très affaiblis. Il doivent se sentir observés et savoir qu’ils seront tenus responsables de ce qui se passe. On doit aussi pouvoir évaluer le niveau de menace sur la base des informations recueillies. Mais là aussi, les talibans ont appris du passé et on peut s’en inquiéter. 

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