Publié le 12/09/2021

Éric-André MARTIN, cité par Pierre-Yves Bocquet dans la revue Epsiloon

Des milliardaires qui font du tourisme, des astronautes qui s'amusent dans les stations orbitales, des annonces spectaculaires de projets de base lunaire, et même martienne... Ces événements très médiatisés ne doivent pas cacher le vrai enjeu. Une nouvelle ère de la conquête spatiale est ouverte : celle des mégaconstellations de satellites qui colonisent ni vu ni connu l'orbite basse depuis deux ans. Une ruée féroce que ne régit aucune loi... Et cette nouvelle ère spatiale, cette fois, va vraiment changer le monde.

Ces derniers mois, l'espace a attiré tous les regards. Nous avons d'abord assisté à un duel entre milliardaires, chacun revendiquant le lancement de la nouvelle ère du tourisme spatial. Nous avons suivi la chronique en apesanteur d'un Thomas Pesquet en orbite. Observé le déploiement de la station spatiale chinoise. Rêvé du retour de l'humain sur la Lune, de l'exploration de Mars ... Un bouillonnement médiatique qui, pourtant, ne dit rien de la vraie révolution spatiale. Une conquête silencieuse, opaque, passée sous les radars, mais autrement plus féroce, se déroule en ce moment même, juste-là, au-dessus de nos têtes.

A la manoeuvre, les golden-boys de l'espace, Elon Musk et Jeff Bezos, mais également une myriade d'entreprises moins célèbre. Leurs armées : des « mégaconstellations », cohortes innombrables de satellites lâchés autour de la Terre, en train d'annexer, ni vu ni connu, des orbites entières.

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C'est du Big Business

Le calcul est le suivant : certes, ces mégaconstellations représentent un énorme investissement -près de 30 milliards d'euros pour Starlink, selon Elon Musk. Mais en facturant 99 euros par mois l'abonnement comme il le prévoit, il suffit d'un million d'utilisateurs, soit une infime partie du marché potentiel, pour décrocher une rente de 1,2 milliard par an. [...]

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  • Sans compter les perspectives juteuses de la révolution numérique. « Internet des objets, smart cities, guidage des voitures autonomes, cloud ... Les mégaconstellations auront un rôle central dans cette révolution », analyse Eric André Martin, spécialiste des politiques spatiales à l'Institut français des relations internationales. Un futur qui se conjugue déjà au présent : le construcgteur chinois Geely s'apprête à développer sa propre armada afin de connecter ses voitures autonomes. Et ce n'est pas un hasard si Starlink a signé il y a quelques mois des partenariats avec les activités cloud de Google et Microsoft. Ni si Jeff Bezos veut développer sa propre constellation au service de sa filiale Amazon Web Services, le leader mondail du cloud. « Musk et Bezos viennent du numérique : Paypal et Amazon, rappelle Eric André Martin. Ce ne sont pas des illuminés : ils ont une vision très claire et affûtée de ce business ».

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Prime au premier arrivé

De fait , la seule contrainte imposée à qui veut lancer un satellite consiste à se trouver un Etat lanceur, qui accepte de se porter garant pour lui -en général, le pays qui abrite le siège de l'entreprise ou sa base de lancement. N'importe qui peut ensuite déposer une demande à l'UIT, l'Union internationale des télécommunications, un organisme dépendant des Nations Unies. 

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  • Sauf que ces fréquences sont justement en train de devenir une ressource critique. « Leur attribution fait l'objet d'une bataille au couteau », témoigne Eric André Martin. Entre télécoms, scientifiques et militaires, les négociations sont tendues. Ici, c'est « premier arrivé, premier servi ». Qu'importe votre activité ou son intérêt pour la collectivité. Une logique qui alimente encore la ruée. Car en prime, l'allocation de fréquence est elle-même conditionnée au respect de certains délais : 10% de la constellation doit être installée dans les 2 ans, 50% dans les 5 ans et la totalité au bout de 7 ans.

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Un nouveau monde

 
« La queue de la comète, c'est le militaire, décrypte Eric André Martin. La dépendance au spatial crée fatalement une vulnérabilité ». « L'espace a toujours été militarisé, mais aujourd'hui, plusieurs Etats posent les bases de son arsenalisation, c'est-à-dire de son armement, abonde Alain De Neve. L'hypothèse d'une crise liée à la destruction d'un satellite n'est pas à exclure : on n'a jamais été aussi proche de ce scénario ».
 
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Cet article est paru dans le magazine Epsiloon [1] (réservé aux abonnés), page 48 à 53.