Publié le 09/11/2021

Carole MATHIEU, citée par Marie-Adélaïde Scigacz sur France Info

Les énergies renouvelables et décarbonées se développent en France. Mais, alors que le temps presse, peut-on attendre et compter dessus pour limiter le cap désastreux d'une planète à plus de 2 °C ?

Les promesses d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 ont rythmé les mois et les semaines précédant la COP26. Avec l'ensemble de l'Union européenne, la France figure parmi les pays se disant prêts à relever le défi, c'est-à-dire à ne pas émettre davantage de gaz à effet de serre (GES) que ce que la planète peut absorber, alors que les technologies de captation de CO2 ne sont pas mûres pour être déployées à grande échelle. Dans neuf ans, les émissions de GES, principales responsables du réchauffement climatique, doivent être réduites de 55% à l'échelle européenne, par rapport à leur niveau de 1990. Ces ambitions, les seules à même d'empêcher une hausse catastrophique de plus de 2 °C des températures, nécessitent des efforts sans précédent de la part des pays les plus riches de la planète.

Fini le pétrole ? "Out" le charbon ? Place aux énergies renouvelables et décarbonées ? Voilà une solution toute trouvée. Problème : ce changement n'est pas si simple à réaliser. Cette opération longtemps désignée par une expression floue, "la transition énergétique", prend du temps, coûte cher et nécessite de repenser nos modes de consommation. Alors que la COP26 aborde, mardi 9 novembre, une journée centrée sur l'innovation, parviendrons-nous à franchir la ligne d'arrivée avant qu'il ne soit trop tard ?

Un défi de l'ordre du jamais-vu

Imaginons une fresque sur le mur d'une salle de classe ou dans un livre d'histoire : pendant des siècles, le bois a permis de nous chauffer. Puis, à l'aube de la révolution industrielle, le charbon inaugure l'ère de la machine. Au XIXe siècle, le pétrole, au XXe le nucléaire puis, en ce début de XXIe siècle, les énergies renouvelables (éolienne, solaire, etc.) feraient tourner la planète. Historien des sciences, des techniques et de l'environnement, Jean-Baptiste Fressoz nous arrête tout de suite : jamais l'humanité n'a connu de telles "transitions énergétiques". Historiquement, à l'échelle globale, ce qui importe pour le climat, nous ne passons pas d'une énergie à une autre, nous les accumulons. "Plutôt que de transitions, il faudrait parler d'additions énergétiques ou mieux, de symbioses énergétiques".

"En Angleterre, au début du XXe siècle, on consommait plus de bois qu'on en brûlait au milieu du XVIIIe siècle, rien que pour boiser les murs des galeries creusées pour extraire le charbon", explique-t-il. De même, "le pétrole a permis l'essor de la voiture, mais il faut énormément de charbon pour produire les véhicules, les raffineries, refaire les routes". Et aujourd'hui, le déploiement des infrastructures indispensables à la production d'énergies renouvelables nécessite de consommer des énergies fossiles.

Ainsi, augmenter la part des énergies renouvelables et décarbonées dans le mix énergétique n'est pas synonyme d'une baisse de l'utilisation d'énergies fossiles en valeur absolue. "Le problème, c'est qu'on regarde la montée des énergies renouvelables ces dernières années et on se dit : 'Génial, la transition est à l'œuvre'. Mais cette montée se fait sur une base fossile qui reste assez stable, poursuit l'historien. Regarder les courbes et se féliciter de l'augmentation de la part du renouvelable, c'est une chose, mais si l'on ne réduit pas en même temps les énergies fossiles, ça ne marche pas."

On parle désormais de "décarbonation", confirme Carole Mathieu, responsable des politiques européennes au Centre Energie & Climat de l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Le premier déterminant, ce sont les émissions [qu'il faut réduire au maximum] et moins la composition du bouquet énergétique."

Une course contre la montre

Les Français consomment-ils moins d'énergies fossiles ? Pour le savoir, on peut se pencher sur notre empreinte carbone, laquelle comptabilise les GES induits par notre consommation, en tenant compte des émissions associées à la production des biens et services importés. "L'empreinte carbone des Français a connu un pic d'émissions en 2005, avec 11,8 tonnes d'équivalent CO2 par personne et par an. Aujourd'hui, elle est de 9,3 tonnes", résume Baptiste Andrieu, du Shift Project, un think tank qui réfléchit à la mise en place d'une économie libérée de la contrainte carbone.

"Cela représente une baisse de 20% en quinze ans, ce qui n'est pas négligeable, reconnaît-il, mais très loin d'être suffisant pour atteindre les objectifs fixés dans la Stratégie nationale bas carbone, rédigée en 2019. Pour y arriver, il faut une baisse de 6,5% des émissions par an et par personne. Or, on est plutôt sur une baisse de 1,5% par an actuellement." Autrement dit, les efforts doivent être immédiatement multipliés par quatre.

"D’autant que plus on tarde à relever ce défi, plus ça va être difficile, puisqu'il faudrait, pour compenser ce retard, décroître les émissions de 7% par an, puis 8%, puis 9 %, etc.", poursuit Baptiste Andrieu.

Un pari industriel sur l'avenir

Va-t-on être en mesure d'accélérer le mouvement ? C'est la grande question. En France, où le nucléaire – désormais complété par les énergies renouvelables – a été déployé dans les années 1960 et 1970, on se targue de produire déjà une électricité essentiellement décarbonée. Mais l'électricité ne représente que 25% de l'énergie utilisée dans notre pays et des secteurs entiers de l'économie restent à décarboner – les transports, le bâtiment, l'industrie ou encore l'agriculture. "En France, le transport est le seul secteur qui a vu ses émissions croître depuis 1990. Dans l'agriculture, qui représente environ 20% des émissions, celles-ci stagnent, ou du moins ne baissent pas comme elles le devraient", détaille Carole Mathieu, de l'Ifri.

Pour ce qui est du transport, "l'horizon s'est éclairci avec le développement du véhicule électrique, qui commence à s'imposer, au moins pour le transport routier", explique-t-elle. Mais pour le transport maritime ou aérien, les solutions décarbonées ne sont pas matures, poursuit l'experte. "On ne sait toujours pas faire d'acier ou de ciment à des prix compétitifs sans énergie fossile, pareil pour les engrais azotés", relève pour sa part Jean-Baptiste Fressoz. Les spécialistes identifient donc des émissions incompressibles, au moins à court terme.

Cela nous place face à une double contrainte : d'une part, développer massivement les technologies telles que l'éolien ou le solaire et, d'autre part, financer la recherche et développement dans les technologies prometteuses, à l'image de l'hydrogène décarboné ou des biocarburants. Ainsi, le plan de relance français dévoilé en 2020 consacre 46% de son montant à la décarbonation de l'économie. Or, pour maintenir le pied sur l'accélérateur, ces investissements colossaux doivent s'inscrire dans la durée, souligne l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) dans un rapport publié en septembre.

Ce qui implique de réaliser de véritables paris industriels : "On a un intérêt à faire des choix et à ne pas se disperser, car l'argent public est compté et ces infrastructures sont très coûteuses. Pour prendre l'exemple du transport routier, on ne peut pas déployer à la fois un réseau de bornes de recharge pour les véhicules électriques et un pour les véhicules à hydrogène, au biogaz ou d'autres solutions qui seraient envisageables, explique Carole Mathieu. Les Etats n'ont d'autre choix que d'établir une stratégie et de s'y tenir : ne pas s'enfermer dans un schéma technologique qui risquerait d'être obsolète et arriver à faire des choix au bon moment, c'est toute la difficulté." La spécialiste pointe en outre "des freins d'acceptabilité". Elle cite ici la mobilisation de citoyens contre l'éolien en mer, une technologie massivement développée par nos voisins du nord de l'Europe et sur laquelle la France accuse du retard.

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