Publié le 02/12/2021

Éric-André MARTIN, cité par Paul Véronique dans l'Express

Longtemps défavorable à l'idée d'imposer le vaccin, Berlin fait aujourd'hui machine arrière face à la flambée épidémique.

"Je ne pense pas qu'on puisse gagner la confiance en changeant ce que nous avons dit, c'est-à-dire pas de vaccination obligatoire." Depuis cette phrase prononcée par Angela Merkel le 13 juillet dernier en conférence de presse, la situation a bien changé en Allemagne. Confronté à une vague d'ampleur inédite outre-Rhin, son successeur désigné à la chancellerie Olaf Scholz a pris son total contre-pied en réitérant, à l'issue d'une réunion de crise ce jeudi, son intention de soumettre au Parlement une proposition de loi visant à rendre le vaccin obligatoire d'ici février ou mars. 

Dans la foulée, un quasi-confinement a été décidé à l'encontre des non-vaccinés, qui n'auront désormais plus accès aux commerces non essentiels, aux restaurants, et aux lieux de culture ou de loisirs. L'objectif affiché : que les derniers récalcitrants "sans contre-indications médicales" se soumettent enfin à la piqûre. A ce jour, environ 68,7% des 83 millions d'Allemands ont achevé leur cycle vaccinal. 

"Ce retournement est frappant à plus d'un titre, note avec surprise Hélène Miard-Delacroix, professeure à Sorbonne Université, spécialiste de l'Allemagne. Déjà parce qu'Angela Merkel et l'ensemble de la classe politique s'y étaient catégoriquement opposés il y a seulement quelques mois, mais aussi parce que, contrairement à d'autres pays comme la France, il n'y a pas de tradition de la vaccination obligatoire en Allemagne." Cette question réveillant, entre autres, le douloureux souvenir des traitements médicaux forcés réalisés durant le IIIe Reich, puis en RDA. 

 

"Un réveil brutal"

Reste que l'explosion des cas dans le pays depuis la mi-octobre ne laissait que peu d'alternatives à Olaf Scholz, dont l'élection à la chancellerie par les députés du Bundestag doit intervenir le 8 décembre prochain. Mercredi, plus de 75 000 nouveaux cas ont encore été recensés dans le pays, tandis que le nombre de morts continuait de croître avec près de 390 décès le même jour.

  • "C'est un premier test pour le prochain gouvernement de coalition et il est nécessaire de se montrer efficace et pragmatique, dresse Eric-André Martin, secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l'Institut français des relations internationales (Ifri). Il est très clair qu'Olaf Scholz et son gouvernement seront jugés dans le débat public sur leur capacité à reprendre la main sur l'épidémie." 

A mesure que celle-ci a gagné en intensité dans le pays ces derniers mois, la population allemande a considérablement évolué sur la question de la vaccination obligatoire. Là où 64% des Allemands s'y opposaient encore en juillet, ils sont désormais 69% à la soutenir, selon le Politbaromètre-ZDF. "Depuis le début de l'épidémie, l'Allemagne avait le sentiment de s'en sortir mieux que ses voisins européens en ce qui concerne la gestion de la crise sanitaire. Mais face à la récente flambée des cas, il y a eu ces dernières semaines un réveil brutal et une prise de conscience du fait que le pays ne pouvait plus se considérer comme le bon élève de l'Europe en la matière", pointe Hélène Miard-Delacroix. Sur ce point, le rétropédalage de Berlin pourrait en tout cas faire des émules sur le Vieux Continent : mercredi, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a appelé à mener dès maintenant une "discussion" sur la vaccination obligatoire. 

 

"Changer de posture sans donner l'impression de se renier"

En parallèle, la vaccination obligatoire est aussi largement soutenue par la plupart des chefs de régions en Allemagne. "Au départ, j'étais sceptique quant à cette décision car elle contredit ma conception libérale de l'État. Mais la seule chance de sortir de cette boucle sans fin est la vaccination obligatoire", a encore martelé dimanche le puissant ministre-président bavarois Markus Söder lors d'un entretien à l'émission Bericht aus Berlin. Signe des temps, un durcissement réglementaire était déjà en cours dans de nombreux Länders. Le 18 novembre dernier, Angela Merkel et les chefs de région avaient ainsi décidé d'appliquer la règle dite du "2G" - autorisant l'accès aux lieux publics, tels que les bars ou les restaurants, aux seules personnes vaccinées ou guéries - dans les territoires où le taux d'hospitalisation dépasse 3 malades du Covid pour 100 000 habitants. 

Avec le soutien du SPD, de la CDU/CSU et d'une majorité du camp écologiste, le vote de l'obligation vaccinale au Bundestag ne devrait être qu'une formalité. D'autant que la Cour constitutionnelle allemande a envoyé un signal encourageant mardi face aux appels à durcir les restrictions sanitaires, en validant la légalité des mesures mises en oeuvre depuis le début de la pandémie, telles que les couvre-feux ou les limitations de déplacement. De quoi convertir les derniers récalcitrants à voter le texte ?
  • "A l'origine, les Libéraux du FDP plaidaient pour la liberté de choix en matière de vaccination. Mais dans le contexte actuel, ils se rendent compte que s'opposer à Olaf Scholz sur cette question - alors qu'ils feront partie de son prochain gouvernement - serait contre-productif. La décision récente de la Cour constitutionnelle leur donne donc un argument en or pour changer de posture sans donner l'impression de se renier", décrypte Eric-André Martin

Avant cela, le nouveau tour de vis décidé ce jeudi impose également aux non-vaccinés de limiter leurs contacts à deux autres personnes maximum d'un autre foyer. Que cela soit à domicile ou à l'extérieur. Un peu plus tôt dans la journée, le ministre sortant de la Santé, Jens Spahn, avait évoqué sans ciller un "confinèement, pour ainsi dire, des personnes non-vaccinées". Pour les opposants à la piqûre, le ton conciliant affiché cet été semble bien loin. 

 

  • Voir cet article sur le site de l'Express [1].