Publié le 13/12/2021

Éric-André MARTIN, interviewé par Audrey Fisné-Koch dans le magazine Pour l'Eco

Le nouveau gouvernement allemand, composé des sociaux-démocrates, des libéraux et des Verts, veut aller plus loin qu’Angela Merkel en intégrant transition écologique et nouvelles technologies à l’économie de marché sociale du pays.

En ce début du mois de décembre, l’air est glacial à Berlin. Devant l’imposant palais du Reichstag (qui abrite le Parlement), quelques curieux s’arrêtent face au drapeau allemand. Un vent nouveau souffle sur la politique outre-Rhin. C’est ici que le social-démocrate Olaf Scholz a prêté serment ce 8 décembre. Devenant le neuvième chancelier du pays, le quinquagénaire a juré de « consacrer ses forces au bien du peuple allemand ». 

Dans les kiosques berlinois, si quelques magazines rendent encore hommage à la discrète "Mutti", partie après seize ans de bons et loyaux services, la plupart des journaux n’ont déjà d’yeux que pour le nouveau dirigeant : « La voie est libre pour Scholz » ; « Olaf Scholz est plus ambitieux qu’Angela Merkel ne l’a jamais été. Son gouvernement réussira-t-il le grand changement ? » ; « Des airs de Willy Brandt »… 

Les observateurs sont unanimes : en formant une coalition inédite avec les libéraux (le FDP) et les Verts, les sociaux-démocrates font un pari ambitieux : aller encore plus loin que le gouvernement précédent en transformant l’économie et la société allemande.

Dans les traces d’Angela Merkel

De rupture, il n’en est pas question. Olaf Scholz l’a d’ailleurs largement répété lors de sa campagne. Ses affiches floquées du slogan « il peut être chancelière » ("Er kann Kanzlerin") ont fait mouche : le social-démocrate veut s’inscrire dans la continuité d’Angela Merkel.

« On va avoir à la tête de l’Allemagne, une coalition qui va poursuivre de manière plus claire et plus lisible une politique économique qui avait été mise en place par les pouvoirs précédents, analyse Patricia Commun, professeure de civilisation allemande à l’université de Cergy Pontoise. On est toujours dans une économie de marché sociale ("Soziale Marktwirtschatf"), mais qui intègre de manière très naturelle toutes les notions de transition écologique (durabilité, protection de la biodiversité, dépollution des sols, etc.), ainsi que les nouvelles technologies. »

  • En parcourant les 177 pages de l’accord de coalition (le "Koalitionsvertrag" rendu public) : les objectifs affichés en matière d’écologie sont ambitieux et dépassent la seule question du réchauffement climatique. L’Allemagne annonce notamment vouloir sortir du charbon d’ici à 2030 « dans l'idéal » et d'arriver à 80% d'énergies renouvelables la fin de la décennie. « Un défi de grande ampleur puisque le pays reste très industrialisé : il s’agit de transformer les sources d’énergie des ménages, mais aussi des usines. Les besoins sont considérables et l’échelle de temps relativement courte », commente Eric-André Martin, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’institut français des relations internationales (Ifri).

Un esprit de compromis

L’autre objectif majeur est de monter en gamme sur le numérique. Pour y parvenir, la nouvelle coalition compte investir massivement et développer davantage la formation (initiale ou continue), notamment auprès des jeunes. « L’Allemagne est, à la base, un pays d’ingénieurs. Elle doit devenir un pays hypertechnologique (technologies quantiques, nano, microtechnologies, semi-conducteurs…) », détaille Patricia Commun.

Si ces objectifs font consensus, c’est que les Allemands estiment ne pas avoir d’autre choix. Pour rester compétitif, être un pays industriel de pointe, ils doivent faire cet effort. « Ce n’est pas parce que les sociaux-démocrates sont au pouvoir qu’ils vont ralentir le rythme. Bien au contraire. Ils sont moins conservateurs que la coalition précédente, prévient l’experte. C’est un souffle modernisateur impressionnant. Pour eux, les idéaux écologiques ne sont pas contradictoires avec une économie de marché de pointe. »

C’est ce qui pousse d’ailleurs Wolfgang Krach, rédacteur en chef du quotidien Süddeutsche Zeitung à comparer les ambitions de la coalition « feu tricolore » aux réformes d’il y a 50 ans sous le gouvernement social-libéral de Willy Brandt. Angela Merkel a été remarquable en termes de stabilité politique, mais pas de renouveau.

Pour atteindre les objectifs, Olaf Scholz et ses partenaires de coalition pourront compter sur les entreprises, les collectivités locales ou encore la société civile. Là encore, outre-Rhin, que ce soit pour la formation, les technologies ou la transition écologique, « l’effort est partagé, dans un esprit de coopération permanente entre tous les acteurs de la société. Il y a une collaboration permanente entre les acteurs publics et les acteurs privés, explique Patricia Commun. Les Allemands ont compris que si une partie de la société est exclue, c’est une perte de richesses et de savoir-faire pour la prospérité du pays. Cet esprit de compromis nous manque cruellement en France ».

L’anticipation allemande

  • Côté social, la coalition menée par le SPD a d’ores et déjà annoncé une augmentation du SMIC (de 9,82 euros, il passe à 12 euros) et une modernisation du régime spécial qui s’applique au Kurzarbeit (le chômage partiel) : « Les règles de calcul seront moins pénalisantes socialement », résume le chercheur de l’Ifri Eric-André Martin.

Néanmoins, le plus gros défi du chancelier sera de stabiliser le régime de retraites, à l’heure où le vieillissement de la population inquiète et que certains emplois sont amenés à disparaître. 

Sur ce point, le nouveau gouvernement reste pragmatique, analyse Patricia Commun. Même s'ils se sont engagés à ne pas relever l'âge de départ en retraite, ni à baisser les pensions, « ils ont conscience que si aucune mesure supplémentaire n’est prise d’ici 2040, il y a plus de 40 % du budget de l’État qui passera dans les retraites. Or, ils ne veulent pas faire exploser ce budget. Le ministre des Finances est le patron des libéraux. Pour ces derniers, la stabilité budgétaire est essentielle. Et les Verts l’ont très bien compris. »

Si d’importants investissements dans les infrastructures sont prévus (pour le ferroviaire ou la fibre optique notamment, secteurs où l'Allemagne est en retard), le gouvernement s’est engagé à revenir dès 2023 aux règles de rigueur budgétaire, tout en prenant en compte les exigences sociales actuelles : « Contrairement à la France, on ne fait pas du social en colmatant les trous à droite, à gauche, en courant après les problèmes socio-économiques, poursuit la spécialiste. En Allemagne, on anticipe pour faire en sorte que la société puisse continuer à rester à un niveau de prospérité partagée. »

De grosses attentes

Et la prospérité rime avec compétitivité internationale : l’économie allemande se veut très intégrée mondialement et particulièrement à l’échelle européenne. C’est peut-être là, un point de divergence entre Olaf Scholz et la précédente chancelière. La coalition « feu tricolore » apparaît plus europhile que les conservateurs.

  • Dans son programme, elle évoque une « Europe souveraine », un « État fédéral européen ». « Les Allemands ont conscience que l’Europe est l’échelle pertinente pour trouver des réponses aux défis d’aujourd’hui et pouvoir peser face à des pays comme la Chine », détaille Eric-André Martin.

Finalement, si les observateurs ont plusieurs raisons de s’enthousiasmer de la nouvelle coalition, reste à voir si les actes suivront, met en garde le chercheur. « Car il y a de fortes attentes de la part de la population, notamment des jeunes qui ont voté pour les Verts et les libéraux. Et s’il a montré un bel exercice de démocratie et de maturité politique pour se former, le gouvernement sera jugé sur ses actes et non pas seulement pour sa posture. »

 

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