Publié le 22/12/2021
Le président de la Corée du Sud, Moon Jae-in, au Palais de l'Elysée à Paris, France, le 15 octobre 2018

Seonjou KANG

Malgré certaines contraintes pesant sur leurs stratégies indo-pacifiques, la Corée du Sud et la France pourraient envisager des dialogues bilatéraux en vue d'un partenariat dans la région indo-pacifique. 

Bien qu’elle appartienne à la région Indo-Pacifique, la Corée du Sud a toujours maintenu ses distances avec le concept d’Indo-Pacifique libre et ouvert (IPLO) défendu par les Etats-Unis. En effet, la Corée du Nord a toujours été la priorité des priorités de la politique étrangère de la Corée du Sud et celle-ci estime que l’IPLO ne servirait pas les relations inter-coréennes. Deuxièmement la Corée du Sud cherche à s’assurer une certaine autonomie dans le contexte de rivalité sino-américaine mais ne peut se permettre de s’aliéner son principal partenaire commercial, à savoir la Chine, en adhérant à l’IPLO. Troisièmement, l’IPLO risquerait d’entraîner la Corée du Sud dans des opérations militaires loin de la péninsule coréenne. Enfin l’IPLO coïncide pour partie avec la « Nouvelle Stratégie vers le Sud » du président Moon Jae-in.    

Tout au long de la présidence Trump, la Corée du Sud a choisi de suivre l’IPLO lorsque cela pouvait servir sa propre stratégie vers le Sud tout en conservant une certaine autonomie. Le sommet de mai 2021 entre la Corée du Sud et les Etats-Unis a marqué un changement important dans la position coréenne. Le président Moon a approuvé à cette occasion certains éléments essentiels de la stratégie Indo-Pacifique du président Joe Biden à l’égard de la Chine, sans toutefois la nommer explicitement. La position coréenne semble donc glisser progressivement de l’hésitation vers l’alignement. Le président Moon est aujourd’hui plus positif à l’égard de l’IPLO, d’une part, car la Corée du Sud court le risque de se trouver isolée sur le théâtre Indo-Pacifique et, d’autre part, suite à la montée d’un sentiment anti-chinois au sein de la population coréenne. Le président Moon espère obtenir de ce fait l’appui des Etats-Unis sur la question nord-coréenne et un meilleur accès aux vaccins américains, mais aussi améliorer sa côte de popularité à la veille des élections prévues l’année prochaine.    

Il y a toutefois peu de chances que la Corée du Sud s’associe dans un avenir proche aux opérations américaines de défense de la liberté de navigation en mer de Chine méridionale. La stratégie Indo-Pacifique de la Corée du Sud dans les cinq années qui viennent dépendra des résultats des prochaines élections.  Si le prochain président appartient au camp conservateur, il ajustera sans doute sa position à l’égard de l’IPLO. Toutefois, compte tenu de la dynamique qui explique la position actuelle du pays, les options demeureront inchangées le long d’un continuum allant d’un alignement sur les Etats-Unis à un alignement sur la Chine, avec une position équivoque au milieu. La Corée du Sud pourrait passer de l’ambiguïté stratégique à l’autonomie stratégique et annoncer officiellement sa propre stratégie Indo-Pacifique. 

La France a été le premier pays européen à afficher sa propre stratégie Indo-Pacifique, qui comporte une forte dimension militaire compte tenu des préoccupations de sécurité soulevées par la montée en puissance de la Chine dans la région. La stratégie française vise à empêcher des comportements risqués de la part de la Chine dans l’Indo-Pacifique. Toutefois l’efficacité de cette stratégie est sujette à caution en raison des capacités militaires limitées de la France dans la région.

Pour mieux la comprendre il convient sans doute de replacer la stratégie française pour l’Indo-Pacifique dans le contexte d’une recherche d’autonomie stratégique. L’orientation militaire de la stratégie française résulte de la volonté du pays d’affirmer son autonomie stratégique, qui est à la fois une fin en soi et un moyen de protéger la France contre la marginalisation et les effets délétères de la rivalité sino-américaine. En affirmant sa présence militaire dans l’Indo-Pacifique, même de manière limitée, la France fait la preuve de son autonomie stratégique et conforte sa position de partie prenante dans la région, rendant le calcul de la Chine en Indo-Pacifique plus compliqué.  

La Corée du Sud et la France pourraient envisager de coopérer dans l’Indo-Pacifique. L’un des points communs entre les deux pays est leur volonté de défendre leur autonomie stratégique. En soutenant une approche fondée sur des principes, la Corée du Sud et la France pourraient contribuer à apaiser les tensions dans la région et à maintenir un équilibre tout en préservant leurs propres intérêts nationaux. Mais les deux pays risquent de se heurter à certains défis. Leur quête d’autonomie stratégique pourrait être source de tension avec les Etats-Unis. En outre, Pékin pourrait s’opposer à leur autonomie stratégique estimant qu’elle renforce la position américaine et la dissuasion collective à l’égard de la Chine. Par ailleurs la Corée du Sud et la France disposent de moyens limités, ce qui rend leurs stratégies moins efficaces et moins crédibles. Enfin, leur coopération en matière de sécurité maritime et non-traditionnelle pourrait s’avérer insuffisante pour réduire les tensions entre les Etats-Unis et la Chine.      

En dépit des contraintes évoquées ci-dessus, la Corée du Sud et la France auraient, premièrement, intérêt à engager un dialogue en vue de coopérer dans l’Indo-Pacifique, ce qui permettrait d’accroître la confiance mutuelle et la convergence stratégique. Deuxièmement, elles pourraient amorcer une coopération dans le domaine maritime afin d’assurer l’interopérabilité de leurs forces et faire la preuve de leur volonté d’autonomie stratégique. Enfin, troisièmement, elles pourraient s’associer pour créer de nouveaux mécanismes institutionnels en Indo-Pacifique destinés à réduire les tensions entre grandes puissances par le biais de dialogues réguliers.

Ce contenu est disponible uniquement en anglais: South Korea and France’s Indo-Pacific Strategies: Potential Partnership and Challenges [1]