Publié le 28/02/2022

Paul MAURICE, cité par Romain David sur Public Sénat

Le renforcement historique du budget militaire de l’Allemagne marque un virage inédit pour la défense allemande. Poussé par l’invasion russe de l’Ukraine, le chancelier Olaf Scholz fait le choix de sortir l’Allemagne de la retenue longtemps affichée sur la scène internationale. Berlin cherche également à rompre sa forte dépendance énergétique au gaz russe.

Chamboulée par l’invasion russe de l’Ukraine, la géopolitique européenne apparaît déjà en pleine recomposition, quatre jours seulement après le début des hostilités. Ce week-end, l’Allemagne a amorcé un virage stratégique à 180 degrés en annonçant un renforcement de ses capacités militaires et la nécessité d’une redéfinition de sa politique énergétique, fortement dépendante des importations de gaz russe. « Le monde est entré dans une nouvelle ère », a justifié le chancelier allemand Olaf Scholz lors d’une déclaration de politique générale sur l’Ukraine dimanche, à l’occasion d’une session extraordinaire du Bundestag, le parlement allemand. Il a annoncé le déblocage d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour moderniser l’armée allemande. Berlin entend progressivement consacrer plus de 2 % de son PIB à la Défense, au-delà des objectifs fixés par l’Otan. Ces déclarations se sont également doublées d’un revirement sur les exportations d’armes, avec la livraison prochaine à l’Ukraine de 1 000 lance-roquettes, 500 missiles Stinger et 14 véhicules blindés, quand jusqu’ici Berlin rechignait à envoyer des armes létales dans les zones de conflit.

La ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, l’une des figures de proue des Verts en Allemagne, avec lesquels gouverne Olaf Scholz, a confirmé une rupture avec « une forme de retenue particulière et solitaire en matière de politique étrangère et de sécurité », qui fait pourtant la spécificité de l’Allemagne depuis plusieurs décennies.

« Il n’est pas exact de dire que l’armée allemande est sous-financée »

L’armée allemande, la Bundeswehr, a été fondée en 1955. À l’époque, la recréation d’une force militaire, dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, est appuyée par les Américains ; elle s’inscrit dans un contexte de guerre froide et répond à la nécessité, pour la République fédérale d’Allemagne, de pouvoir résister à une éventuelle invasion soviétique.

  • « Après 1990 et le démantèlement de l’URSS, une grande question se pose aux Allemands : que faire de cette armée ? », relève auprès de Public Sénat Paul Maurice, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Progressivement, les effectifs passent de 500 000 hommes à la fin des années 1980 à 200 000 aujourd’hui. Désormais, l’armée allemande, qui n’intervient que sous mandat de l’Onu ou de l’Otan, passe pour sous-dotée et mal équipée.

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  • « Effectivement, il n’est pas exact de dire que l’armée allemande est sous-financée. Mais l’entretien d’un matériel plutôt obsolète avale une large partie du budget. Les Tornado, les avions de combats allemands, ont déjà plus de trente ans », explique Paul Maurice. « La bureaucratie y est également très importante, ce qui fait que les principaux postes de dépenses ne sont pas nécessairement les plus pertinents. »

La classe politique au diapason

Pour Ronan Le Gleut, les déclarations d’Olaf Scholz marquent un tournant historique. « Nous ne sommes pas sur une augmentation du budget, mais sur le déblocage d’une enveloppe exceptionnelle de 100 milliards. C’est absolument vertigineux, cela n’aura pas seulement des conséquences sur la défense allemande, mais aussi sur l’industrie du pays. » Pour autant, l’idée d’une réforme de la Bundeswehr est déjà ancienne, formulée à plusieurs reprises par les derniers ministres allemands de la Défense. Le 14 janvier dernier, devant le Parlement, la nouvelle ministre Christine Lambrecht avait ainsi plaidé pour porter à 3 % du PIB la part du budget consacré aux actions extérieures.

  • « Mais les ministres se sont généralement heurtés à une opinion allemande plutôt pacifiste, et une classe politique qui a fait le choix de se reposer sous le parapluie nucléaire des Etats-Unis et de l’Otan », note Paul Maurice

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Une victoire politique pour Olaf Scholz ?

Politiquement, Olaf Scholz revêt tacitement les habits de chef de guerre, et balaye ainsi les critiques des dernières semaines sur la tiédeur de Berlin vis-à-vis de la crise. Surtout, il se démarque de la figure de Gerhard Schröder, ancien chancelier et leader du SPD, devenu le symbole d’une Allemagne pro-russe, qui n’a eu de cesse de renforcer le partenariat économique et énergétique avec Moscou.

  • « Pour le parti, c’est une révolution copernicienne. Et Olaf Scholz apparaît depuis ce week-end comme celui qui tourne l’Allemagne vers davantage de responsabilité. Evoquer une remilitarisation de l’Allemagne agite souvent de vieux épouvantails en Occident, en référence à l’entre-deux-guerres. Mais on pourrait plutôt parler d’une normalisation ; il pousse l’Allemagne à s’assumer comme puissance », analyse Paul Maurice. « Reste à voir comment il parviendra à garder la main sur les différentes composantes de la coalition. »

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Rompre avec le gaz russe

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Berlin a largement surpris la communauté internationale en annonçant, le 22 février, la suspension de la mise en service du gazoduc Nord Stream 2, aux capacités similaires. Le pays cherche à développer depuis plusieurs années, sur le littoral de la mer du Nord, des terminaux GNL, qui permettraient d’importer du gaz liquéfié d’Amérique du Nord et du Moyen Orient. « Mais ils ne seront pas en mesure de faire venir des quantités équivalentes », avertit Ronan Le Gleut.

  • « Un changement de fournisseurs ne réglera pas non plus le problème de dépendance énergétique », abonde Paul Maurice.

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