Publié le 07/03/2022

Thomas GOMART, invité dans la Matinale de France Inter

Jonathan Littell, écrivain et journaliste, et Thomas Gomart, historien, directeur l'Institut français des relations internationales (IFRI), sont les invités du Grand entretien de France Inter.

"Nous sommes dans une logique de siège", constate Thomas Gomart, historien, directeur l'Institut français des relations internationales (IFRI). "Nous sommes dans une guerre totale, dans son amplitude, c'est-àdire, que c'est une opération aéro-terrestre de grand style, au sens le plus classique du terme, et avec un niveau de pertes qui est déjà extrêmement impressionnant".

Un niveau de violence extrêmement élevé

Pour le chercheur, "on se rapproche très probablement d'un schéma de type Grozny", une référence à capitale de la Tchétchénie, en partie détruite lors de la seconde guerre de Tchétchénie à la fin des années 90. Il y a "des bombardements massifs qui vont toucher, qui touchent d'ores et déjà, un grand nombre de civils, et provoque également un afflux de réfugiés. Déjà deux millions d'Ukrainiens ont quitté leur pays. La situation est à un niveau de violence extrêmement élevé et qui se sent déjà dans la société russe qui, à mon avis, est en train de se militariser très rapidement.

Thomas Gomart constate que si "le ministère russe de la Défense communique [sur le nombre de morts et de blessés depuis le début de la guerre - Ndlr], c'est une façon de dire en fait à la population russe : 'désormais, c'est votre guerre. C'est une opération militaire spéciale, mais en fait, ça nous concerne tous.' Et donc, de ce point de vue-là, il faut y voir probablement une volonté d'entrainer le corps social russe."

"Les crimes de guerre, ce n'est pas son problème"

L'écrivain et journaliste Jonathan Littell, partage cette vision ne prédit pas autre chose que la chute de Kiev avec la même méthode que Vladimir Poutine a utilisé pour Grozny : "je ne vois pas ce qui l'en empêcherait. En termes de sanctions, on est allé déjà à peu près aussi loin qu'on peut. Il y a encore un ou deux crans plus avec lesquels on peut le menacer, mais sans plus. Il n'y a plus rien pour le dissuader. L'opinion publique mondiale, clairement, il s'en moque. Les Nations unies, c'est verrouillé. Les crimes de guerre, ce n'est pas son problème. Donc pourquoi il ne ferait pas, si c'est la seule façon pour lui de prendre la ville.

Mais "le seul espoir que je vois du côté de la Russie, ce n'est pas du tout un mouvement populaire qui pour le moment va rester assez illusoire. Ce serait plutôt à l'intérieur du régime lui-même où le niveau d'insatisfaction, avec le coût économique pour le pays et pour les individus concernés, de cette guerre absolument inutile pour les intérêts large de la Russie pourrait mener à une modification de la structure du pouvoir de l'intérieur."

D'autres menaces que le nucléaire

Sur la question de la menace nucléaire, pour Jonathan Littell, il faut prendre la menace très au sérieux car "aujourd'hui, on ne peut pas prédire ce que vont faire les Russes puisque Vladimir Poutine joue à l'irrationalité." Toutefois, pour Thomas Gomart, "le point à retenir, c'est que du côté occidental, il n'y a pas eu d'escalade nucléaire, c'est à dire qu'au fond, il y a pas eu de volonté de se mettre au même niveau [que Vladimir Poutine], précisément parce qu'il y a la dissuasion.

L'historien s'inquiète en revanche des autres types de menaces et d'actions concrètes que peut mener le Kremlin : "La Russie, au mois de novembre 2021, a abattu un satellite, donc elle sait faire cela. Il faut se demander ce que pourrait provoquer de toucher des satellites, ou une forme de guerre dans l'espace ou via l'espace. La Russie s'est aussi illustré l'an dernier par des manœuvres navales qui montrent qu'elle peut assez facilement sectionner des câbles sous-marins par lesquels transitent les flux d'information, les données. Il y en a environ 400 dans le monde. C'est un point de vulnérabilité pour le système globalisé dans lequel nous sommes. Et il y a aussi le fait que la Russie a montré, ces dernières années, qu'elle avait déjà transgressé le seuil du chimique, avec l'empoisonnement de Sergueï Skripal Outre-Manche ou même celui de Nevalny. Cela montre qu'il y a un tabou qui est tombé sur certains usages du chimique."

 
Les invités
  • Thomas Gomart, [1]historien des relations internationales, directeur de l'Institut français des relations internationales
  • Jonathan Littell [2], écrivain

 

> ecouter l'entretien sur France Inter [3]