Publié le 24/03/2022

Olivier APPERT, interviewé par Joël Carassio dans Le Républicain lorrain

L'annonce a surpris tout le monde mercredi: Vladimir Poutine exige désormais que ses exportations de gaz soient payées en roubles, et non plus en dollars ou en euros. Aucun pays client n'a encore accepté. Pour Olivier Appert, conseiller du Centre Énergie & Climat de l'Institut français des relations internationales (Ifri), cette demande inédite pourrait faire peser sur les clients la baisse du rouble.

Peu avant l'intervention remarquée du président ukrainien Wolodymyr Zelensky face aux parlementaires français mercredi, le président russe a lancé un pavé dans la mare : Vladimir Poutine a donné une semaine à ses clients des « pays hostiles » pour payer leur gaz en roubles, et non plus en euros ou en dollars.

« Dans un délai d'une semaine »

Il a par ailleurs listé les « pays hostiles » : 48 pays, dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse mais aussi tous les pays de l'Union européenne, très dépendants du gaz russe. Le président russe a demandé à la banque centrale et au gouvernement d'établir « dans un délai d'une semaine » le nouveau système qui doit être « clair, transparent » et implique
« l'acquisition de roubles sur le marché » russe des changes. Cette annonce a eu un effet immédiat sur la devise russe, qui s'est renforcée face à l'euro et au dollar, alors qu'elle s'était écroulée dès le 24 février et l'entrée des forces russes en Ukraine.

  • Olivier Appert: "Il faut s'attendre à une forte hausse des cours"

Olivier Appert a été président directeur général d'IFP Énergies nouvelles de 2003 à 2015 et du Conseil français de l'Énergie, Comité français du Conseil mondial de l'Énergie de 2010 à 2018. Il est membre de l'Académie des Technologies, président de France Brevets, et conseiller du Centre Énergie & Climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Que vous inspire l'annonce de Vladimir Poutine ? 
Il me semble que cette volonté de faire payer en roubles les hydrocarbures russes a pour but de faire porter sur les acheteurs le risque de dévaluation du rouble. Ce serait l'avantage principal : reporter le risque de change sur les consommateurs, en contraignant les clients à acheter du rouble pour payer les factures.

Vladimir Poutine peut-il le faire ? 
Légalement, c'est une disposition qui ne me semble pas pouvoir s'appliquer pour l'ensemble des achats : la devise est en principe toujours indiquée dans le contrat, s'agissant de fourniture de gaz ou de pétrole. Remplacer un achat en dollars ou en euros par un achat en roubles, c'est une rupture unilatérale de contrat.

Est-ce que Poutine veut ainsi contraindre ses clients à renégocier ces contrats ? 
Oui, c'est une possibilité. Et c'est sans doute très habile de sa part. En tout cas beaucoup plus habile de sa part que d'agiter la menace d'une coupure de l'approvisionnement en gaz.

Est-ce qu'on a un précédent ? 
Ah non. C'est du jamais-vu en termes de commerce international. Du jamais-vu, tout simplement. Qui montre, qui nous rappelle, à quel point Poutine peut nous réserver des surprises. Il faut s'attendre à tout. Comme l'invasion de l'Ukraine, qui paraissait quelques jours avant tout à fait inenvisageable.

Était-ce un scénario qui avait été envisagé ? 
Absolument pas. Je n'ai rien vu à ce propos ces derniers jours, ces dernières semaines. Il semble que personne n'avait fait allusion à cette possibilité.

Le président russe a aussi imposé un délai très court, d'une semaine... 
Oui. Sur ce sujet, je vous renvoie aux déclarations du PDG de Total Energies, sur l'impact d'un embargo gazier. Avec un embargo pétrolier, on peut se débrouiller dans la mesure où le marché est relativement liquide. Mais une rupture d'approvisionnement en gaz ? Mieux vaut espérer que ça n'arrive pas.
L'Agence internationale de l'énergie a listé les moyens de réduire sa dépendance gazière vis-à-vis de la Russie... Or je n'ai pas vu, dans aucun pays, de campagne visant à réduire le chauffage ! Quant à maximiser les approvisionnements auprès de pays tiers, une autre de ses recommandations, il faut se souvenir que le marché est extrêmement tendu : il semble quasiment impossible d'augmenter rapidement la production chez nos fournisseurs traditionnels - Algérie, Norvège ou autres. Dans tous les cas, il faut s'attendre à une forte hausse des cours.

 

Après avoir perdu 50% de sa valeur en un mois, le rouble a repris un peu de vigueur mercredi : +8% face au dollar comme à l'euro. Fin février, la Russie a promulgué une loi imposant aux acteurs de l'économie de convertir en roubles au moins 80% de leurs exportations en devises, et de toujours maintenir un ratio de 80% de liquidités en roubles à l'avenir - afin de soutenir la monnaie russe.

En clair, la mesure de Poutine devrait à la fois renforcer la valeur du rouble et maintenir à un niveau élevé les cours des hydrocarbures.

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 > Lire l'article sur le site du journal Le Républicain lorrain [1]