Publié le 09/05/2022

Paul MAURICE, cité par Héléna Berkaoui sur Public Sénat

Le président de la République réserve son premier déplacement international à son allié allemand. Un symbole d’unité dans un moment de tension particulier lié à la guerre en Ukraine. Malgré les enjeux complexes et des intérêts parfois contraires, les spécialistes sont confiants sur la solidité de ces relations.

Tout comme lors de sa première élection, Emmanuel Macron réserve son premier déplacement international à son allié allemand. Le président de la République rencontre le chancelier, Olaf Scholz, ce lundi 9 mai à Berlin.

En cette journée de l’Europe, le président de la République s’est également exprimé devant le Parlement européen à Strasbourg. Une allocution qui s’est tenue dans le cadre de la conférence sur l’avenir de l’Europe alors que la France assure la présidence tournante du Conseil de l’UE jusqu’à la fin du mois de juin.

Lors de son discours, Emmanuel Macron a appelé à la création d’une « communauté politique européenne » pour rapprocher l’Ukraine de l’UE et s’est déclaré « favorable » à une révision des traités.

 

Macron entend « réaffirmer la centralité de l’entente franco-allemande »

La rencontre du chef de l’Etat et du chancelier allemand est une manière de « réaffirmer la centralité de l’entente franco-allemande dans ce moment de crise auquel est confrontée l’Europe », pointe Sylvain Kahn, historien et géographe enseignant à Sciences po.

Si cette visite n’a en apparence rien de surprenant, elle revet tout de même son importance. « Il s’agit de montrer pour le Président réélu que son partenaire naturel est bien l’Allemagne. Cela paraît évident mais ça n’a pas toujours été le cas et, surtout, ça aurait pu ne pas l’être en cas de victoire de Marine Le Pen », rappelle l’auteur de « Histoire de la construction de l’Europe depuis 1945 » (Ed. PUF, 2021). La candidate du Rassemblement national avait effectivement promis une rupture de la coopération en matière d’industrie de l’armement avec l’Allemagne.

 

Ancien ministre des Finances de Merkel : « Olaf Scholz est bien connu à Paris »

Le successeur d’Angela Merkel n’est pas un inconnu. « Emmanuel Macron connaît bien Olaf Scholz qui est chancelier depuis décembre. Il lui avait d’ailleurs lui aussi, réservé sa première visite diplomatique à Paris », précise Paul Maurice, chercheur au comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa).

« Olaf Scholz était ministre des Finances dans le gouvernement d’Angela Merkel et a beaucoup travaillé avec Bruno Le Maire, notamment au moment de la crise sanitaire, c’est donc quelqu’un qui est bien connu à Paris », indique-t-il également.

Le nouveau chancelier allemand se différencie d’Angela Merkel qui a occupé durant 16 ans le poste de chancelière. En effet, lui est issu du SPD (le parti social-démocrate). « Ce qui change surtout c’est que la coalition au pouvoir est différente avec deux nouveaux partenaires : les Verts et les Libéraux », souligne Paul Maurice. Pour ce qui relève de la personnalité, le chercheur estime que « Olaf Scholz ne s’éloigne pas de la méthode Merkel marquée par une certaine discrétion et c’est peut-être la fonction qui veut cela ».

Lors de son discours à Strasbourg Emmanuel Macron a rappelé sa volonté de défendre le principe d’une « différenciation » entre les Etats membres. Le chef de l’Etat se défend de promouvoir une « Europe à deux vitesses » et pointe l’impossibilité pour les Etats membres de la zone Euro de ne pouvoir se réunir qu’entre eux. « Nous sommes le seul syndicat de copropriété qui s’interdit de se réunir en syndic de copropriété, il faut toujours inviter toute la rue », a-t-il illustré.

Cette idée d’avancer sur certains sujets en groupe restreint n’est pas nouvelle et avait déjà été évoquée par le Président lors de son discours de la Sorbonne en 2017. « Si l’idée d’un rapprochement entre Etats aboutit pour éviter les blocages, cela tranchera avec la méthode Merkel qui était plus inclusive », soulève Paul Maurice.

 

Les enjeux de cette première rencontre officielle

Le dossier qui devrait s’imposer lors de cette première est bien évidemment le dossier ukrainien et les difficultés qu’il met à jour. Paul Maurice pointe la première d’entre elles : « La question de l’approvisionnement énergétique. Elle se posait avant, mais la guerre en Ukraine a montré l’urgence de cette question. De nombreux Etats vont notamment devoir abandonner le charbon et la question principale reste : quelle énergie de transition choisit-on ? »

Le sujet est d’autant plus brûlant que le Conseil européen n’est pas unanime concernant l’embargo sur le pétrole russe. « Des pays comme la Hongrie ou la Bulgarie ont mis leur veto », rappelle Sylvain Kahn qui insiste sur la situation de blogage dans laquelle se retrouve l’UE.

Sur cette question, l’Allemagne et la France ne sont pas dans la même situation de dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. « Les Allemands sont en train de faire un effort, mais ils sont lestés d’une politique russe qui est problématique », observe Sylvain Kahn. Loin d’être attentistes, les Allemands se sont engagés à se passer du pétrole et du charbon russe d’ici fin 2022, mi-2024 pour le gaz.

 

Embargo sur le pétrole russe : « Olaf Scholz prend une partie de l’opinion publique à rebrousse-poil »

Des décisions qui ne sont pas sans effets sur l’opinion publique, précise Sylvain Kahn : « Olaf Scholz prend une partie de l’opinion publique à rebrousse-poil. Une partie des Allemands ne le suit pas sur l’embargo sur le pétrole russe et sur la livraison d’armes lourdes à l’Ukraine ».

D’autres dossiers seront également abordés tel que le pacte de stabilité et de croissance qui a été suspendu en raison de la crise sanitaire. Ce pacte consacre la fameuse « règle des 3 % » qui veut que le déficit public ne doive pas dépasser 3 % du PIB. Ce point va être important pour Emmanuel Macron qui souhaite convaincre Berlin de mettre en place d’un nouveau fonds de relance économique et le financement en commun de l’effort de défense européenne.

Malgré ces possibles points d’accroche, « la situation actuelle va sans doute faire réfléchir les dirigeants, on est dans une telle nécessité que chacun va faire des compromis », prédit Paul Maurice. En outre, les deux chefs d’Etat ne seront pas confrontés à des scrutins avant au moins trois ans, « un moment de stabilité qu’il faut saisir ».

 

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