Publié le 18/05/2022

Benjamin AUGE, interrogé par Elisabeth Pierson pour Le Figaro

Pour Benjamin Augé, chercheur associé à l'Ifri, le meurtre de l'étudiante chrétienne Deborah Samuel s'inscrit dans un engrenage infernal où pauvreté et insécurité favorisent l'islamisme.

Pour un simple message WhatsApp où elle remet en cause la légitimité du prophète Mahomet, Deborah Samuel, étudiante de Sokoto, est lapidée le 12 mai par ses camarades, son corps brûlé. Dans cet État au nord-ouest du Nigeria où la charia est en vigueur, l'arrestation des meurtriers a déclenché des manifestations. Un couvre-feu a été décrété. Lundi, dans le Nord-Est, une autre femme elle aussi accusée de blasphème a été sauvée in extremis d'une foule déchaînée par les tirs de sommation des policiers. Comment expliquer cette radicalisation inquiétante de la population au Nigeria ?

LE FIGARO.- La lapidation de Deborah a provoqué une onde de choc sur les réseaux sociaux. Ce genre d’événement est-il monnaie courante au nord du Nigeria ?

Benjamin AUGE.- Je ne dirais pas qu'elles sont monnaie courante. Mais cela n'est malheureusement pas la première fois. Ce type de drame est le résultat d'un contexte politico-sécuritaire et économique fortement dégradé. L'État de Sokoto, où Deborah était scolarisée, comme Zamfara, Katsina, Kano et les zones frontalières avec le Niger, sont les plus pauvres et les moins développées du Nigeria. Plus grave encore, elles continuent de s'appauvrir davantage. La démographie dans ces zones du Nord contribue encore à une situation économique et sociale préoccupante : 7 enfants par femme à Sokoto, soit le chiffre le plus élevé d'Afrique. Lorsqu'on descend vers le sud du Nigeria, notamment dans le delta du Niger, le nombre d'enfant par femme ne dépasse par 4.

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Comment expliquer le soutien populaire aux meurtriers de Deborah ?

Populaire est probablement exagéré, mais certains groupes de la population soutiennent en effet les personnes ayant commis cette lapidation. Dans les zones délaissées par l'État central, sans emploi ni éducation, les populations se raccrochent au seul facteur de stabilité, la religion. Ce dernier bastion devient alors intouchable.

Le Nigeria n'est pas le seul pays avec une forte population musulmane à être confronté à ces tensions communautaires et religieuses. Toutefois, le gouvernement nigérian ne propose pas grand-chose pour y répondre. Le président Muhammadu Buhari, qui achèvera son deuxième et dernier mandat en 2023, vient précisément du nord-ouest du pays. Son électorat se trouve dans cette zone, où 90% de la population vote pour lui, ce qui lui donne une liberté limitée de parole. Il a officiellement condamné le meurtre, mais il n'a que des coups à prendre de la part de son électorat traditionnel en communiquant sur ce drame.

 

Est-ce lié à la présence de groupes djihadistes tels que Boko Haram ?

Le cas de Boko Haram est complexe. Après cette décision fédérale sur la charia, des groupes de pression ont accompagné et conseillé les gouverneurs locaux pour les aider à mettre en œuvre la loi islamique. Au départ simple groupe, à sa fondation dès 2002, Boko Haram a été utilisé voire instrumentalisé par le gouverneur de l'époque dans l'État de Borno (Nord-Ouest) pour aider à la mise en place de la loi islamique. Cependant, Boko Haram a pris de l'ampleur et a ensuite été combattu par le gouverneur puis l'État fédéral. À partir de 2009, il se mue en mouvement anti-Etat. Le groupe est désormais divisé en multiples factions.

 

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