Publié le 18/11/2022
Doha, Qatar - juin 2022

Jean-Loup SAMAAN, interviewé par Thierry Lévêque dans La Dépêche du Midi 

Chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et au Middle east institute de l’université de Singapour, Jean-Loup Samaan est spécialisé dans la géopolitique du golfe arabo-persique. Selon lui, le Mondial n’aura qu’un bénéfice symbolique pour le Qatar, car les liens entretenus par ce pays avec les Occidentaux sont déjà cruciaux.

De quand date l'émergence du Qatar sur la scène internationale ?

Sa richesse en gaz (le pays a les troisièmes réserves mondiales, NDLR) lui a permis dès son indépendance en 1971 de bénéficier avec cette rente d'une capacité d'autonomie. Mais sa position internationale actuelle a réellement été validée à partir de 1995, quand le père de l'actuel émir (*) a pris le pouvoir et posé les fondations du Qatar. C'est devenu alors un pays avec une politique étrangère propre, quitte à ce que cela le mette en porte à faux vis-à-vis des Saoudiens.

Comment s'est organisée cette singularité ?

L'émir Hamad al Thani lance en 1995 la chaîne de télévision Al Jazeera, avec l'idée que le Qatar peut préserver son indépendance en misant sur le "soft power" et sur une relation à la fois avec les Occidentaux mais aussi un certain nombre d'autres acteurs régionaux et internationaux. Il y a notamment une place importante donnée aux Français, aux Britanniques et bien sûr aux Américains. Aujourd'hui, la plus importante base militaire américaine du Moyen-Orient se trouve à Doha, qui abrite le commandement militaire central de toute la zone.

Comment la relation avec la France s'est-elle développée ?

Elle a commencé sous la présidence Chirac (1995-2007). Après la première guerre du Golfe, on a observé une augmentation de la présence occidentale dans ces petits pays et l'avènement un véritable âge d'or pour l'industrie de l'armement. La France représentait alors 80 % du matériel de guerre qatari. Cela s'est poursuivi sous le mandat Sarkozy (2007-2012), marqué par le rachat du PSG. La relation va ensuite toucher ses limites quand le Qatar propose un fonds pour les banlieues. C'est un sujet sensible qui crée une sorte de "Qatar bashing" à l'encontre du pays, qu'on accusera de vouloir exercer une forme d'ingérence à l'intérieur même de l'espace national français.

Le Qatar est en effet accusé de soutien à l'islam radical. Qu'en est-il exactement ?

La question s'est posée au moment des révolutions arabes. Il y a très certainement une politique qatarie consistant à financer des groupes armés, et particulièrement des groupes islamistes armés, que ce soit en Libye ou en Syrie. Il y a eu en même temps un soutien financier et diplomatique apporté au gouvernement des Frères musulmans en Égypte, entre 2011 et 2013. La question est de savoir si c'était idéologique ou opportuniste. J'aurais tendance à dire que c'était plutôt opportuniste. À partir de 2011, il y a cette idée qatarie que l'islam politique a le vent en poupe et que ces mouvements vont déterminer la politique dans le monde arabe dans les temps à venir.

Le Qatar est-il lui-même un régime islamiste ?

Le régime qatari n'est pas un régime d'islam politique. C'est un régime autoritaire, une monarchie absolue, mais ce n'est pas un régime islamique au sens du régime iranien ou de celui des Frères musulmans lors de leur passage au pouvoir en Égypte. Le régime du Qatar s'appuie certes sur la charia (la loi islamique), mais il agit là comme la plupart des pays de la région. Ce qui est certain, c'est qu'il y a une présence des Frères musulmans assez importante au Qatar, mais encore une fois c'est une proximité tactique plus qu'idéologique. Si le logiciel qatari était idéologique, il n'y aurait pas 10 000 soldats américains à Doha...

Le pays ne pratique-t-il pas ainsi un grand écart politique et diplomatique ?

Les Qataris ne le cachent pas, au contraire, ils le mettent en valeur. Ils estiment que c'est ce qui fait leur plus-value. Ils sont ce tout petit État qui est capable dans la même journée, à Doha, d'accueillir le secrétaire à la Défense américain et le Hamas (le parti islamiste palestinien), de faire la liaison avec les talibans afghans et ainsi de suite.

Est-ce dans l'intérêt des Occidentaux ?

Quand le bureau des talibans a été ouvert à Doha en 2013, c'est parce que les deux parties, les Américains et eux, cherchaient un endroit dans la région qui soit assez sûr et neutre pour des négociations. Les talibans ne voulaient aller ni chez les Émiratis ni chez les Saoudiens. Doha a donc été vue comme la destination la plus évidente. (L'accord de retrait américain a été signé au Qatar en 2020, ndlr ).

Quel est le moteur de la relation entre le Qatar et la France ?

Au départ, c'est clairement l'énergie et l'armement. Aujourd'hui, on voit que le dossier énergétique revient sur le devant de la scène avec la guerre en Ukraine. Mais après, sur le plan diplomatique, la relation actuelle avec le Qatar n'est pas aussi étroite que l'est celle entre la France et les Émirats arabes unis ou l'Arabie saoudite. Il y a des dossiers où on a été en vrai désaccord, comme pour la Libye. Côté qatari, il y a cette perception que Macron entretient une relation très étroite avec Mohammed ben Zayed (président des Émirats, ndlr ) et Mohammed ben Salman (au pouvoir en Arabie saoudite, ndlr ). Or, il y a une grande méfiance entre Doha et l'Arabie saoudite.

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Retrouvez l'intégralité de l'interview sur La Dépêche du Midi [1]