Publié le 13/01/2023
Procédés de coulée métallique dans le four à explosion dans une usine métallurgique

Sylvie CORNOT-GANDOLPHE

L’Union européenne (UE) représentait 8 % de la production mondiale d’acier en 2021, avec 153 millions de tonnes (Mt). L’industrie sidérurgique revêt une importance stratégique : elle génère 2,5 millions d'emplois, dont 308 000 d’emplois directs et représente une valeur ajoutée de 135 milliards d’euros, dont 23,4 milliards d’euros directs.

Le maintien de ces actifs, et leur décarbonation (6 % des émissions), forment un enjeu crucial pour la compétitivité, la résilience et l’autonomie stratégique de l’UE. Et ce d’autant plus que l’année 2022 a provoqué un recul de la production et de la consommation, du fait des crises économiques et des coûts de l’énergie, et même l’arrêt de certaines usines, tandis que 2023 ne laisse présager aucune amélioration.

Les préparatifs pour la décarbonation de l’acier européen se sont accélérés en 2022, année charnière au cours de laquelle les principales conditions nécessaires à la transformation de l’industrie sidérurgique se sont mises en place : cadre réglementaire européen, participation aux investissements de décarbonation au niveau européen et national, marché demandeur d’acier vert et disposé à payer un premium, accélération du déploiement des vecteurs énergétiques propres et de l’infrastructure nécessaire. La hausse des prix de l’énergie, des matières premières et du carbone incite également les sidérurgistes à adopter des technologies de rupture pour décarboner plus rapidement leur production et s’affranchir de la volatilité des prix et de leur dépendance aux combustibles fossiles. Cette tendance s’est accélérée depuis l’invasion de l’Ukraine.

La voie technologique innovante H2-DRI-EAF est la stratégie privilégiée des sidérurgistes européens. Elle permet des réductions d’émissions de 95 % par rapport à l’acier traditionnel (sous réserve que l’électricité et l’hydrogène bas carbone soient disponibles en quantité suffisante et à un coût acceptable).Le remplacement des hauts-fourneaux par cette voie technologique est déjà planifié par plusieurs grands sidérurgistes, dont ArcelorMittal, SAAB, Salzgitter, Tata Steel Netherlands (TSN) et Thyssenkrupp Steel (TKS).

Cette voie technologique attire également de nouveaux acteurs dans un secteur jusqu’alors dominé par les grands groupes sidérurgiques. Les projets, actuellement en phase d’implémentation ou en attente de validation des soutiens financiers publics, pourraient remplacer un tiers de la production européenne d’acier primaire d’ici 2030, soit environ 40 Mt/an de DRI (réduction directe du minerai de fer) potentiellement produit en Europe en 2030, et permettre des réductions d’émissions significatives, dépassant l’effort demandé au secteur. En particulier, SAAB, Salzgitter et TSN ambitionnent de faire évoluer l’ensemble de leur production vers cette voie d’ici 2030 à 2033.

Le conflit russo-ukrainien a accéléré les prises de décision en vue de cette transformation en profondeur. Par ailleurs, alors que la plupart des sidérurgistes européens envisageaient une phase transitoire au cours de laquelle le DRI fonctionnerait initialement avec du gaz naturel, les sidérurgistes ont commencé à adapter leur stratégie aux nouvelles contraintes du marché gazier. Ainsi, TSN envisage maintenant de maximiser l’usage de l’hydrogène vert dès la mise en service de sa première unité de DRI. Les sidérurgistes en Allemagne suivent la même approche. La crise de l’énergie renforce la nécessité de sécuriser l’approvisionnement en hydrogène renouvelable dès le démarrage de l’unité de DRI.

La deuxième grande voie technologique de décarbonation de l’acier (CCU/CCS et intégration des procédés) est poursuivie en parallèle à la voie H2- DRI-EAF par ArcelorMittal et TKS afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2045/2050. 

Les grands acteurs adoptent des positionnements différents : certains font évoluer rapidement – d’ici 2030/2033 – l’ensemble de leur production vers la voie H2-DRI-EAF ; d’autres poursuivent en parallèle les deux grandes voies technologiques de décarbonation et adaptent régulièrement leur stratégie à l’évolution des conditions de marché et des réglementations. La maîtrise d’une gamme étendue de technologies de décarbonation constitue un atout pour l’Europe, qui se positionne en tête de file de la décarbonation de la production d’acier mondiale.

La voie H2-DRI-EAF, qui requiert une modification radicale des procédés, nécessite des investissements élevés – à la fois en CAPEX (dépenses d’investissement de capital) et, au moins sur une période transitoire, en OPEX (dépenses d’exploitation). Elle nécessite également des quantités élevées d’électricité et d’hydrogène propres. Si l’appui financier au secteur est en train de se mettre en place, la sécurisation de l’approvisionnement énergétique reste un défi industriel et financier majeur au cours de cette décennie. L’industrie sidérurgique est pro-active et cherche à assurer son approvisionnement en formant des partenariats avec des producteurs d’électricité renouvelable, des producteurs d’hydrogène et des compagnies internationales énergétiques. Elle investit dans le développement des énergies renouvelables et dans les électrolyseurs nécessaires à l’alimentation en hydrogène des unités de DRI. 

La mobilisation accélérée des vecteurs énergétiques propres, à des conditions compétitives et à grande échelle, et la mise en place des infrastructures nécessaires vont déterminer la rapidité à laquelle l’acier européen pourra se décarboner. Au-delà du soutien financier permettant d’initier les premiers projets de décarbonation, les gouvernements ont un rôle majeur à jouer pour assurer l’accès à ces vecteurs énergétiques et à l’infrastructure nécessaire. Même si le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) doit protéger l’industrie européenne vis-à-vis des producteurs extérieurs, il n’est pas la panacée, vu notamment l’ambiguïté concernant son effet sur les exportations et qu’il existe des différences de coûts de production de l’électricité non négligeables au sein de l’UE.