Publié le 23/01/2023

Thierry VIRCOULON, tribune parue dans The Conversation

Depuis 2020, une étonnante épidémie de putschs (cinq en deux ans) a frappé la zone comprise entre les 10e et le 20e parallèles nord, qui va du Soudan à la Guinée. De Khartoum à Conakry, des militaires ont pris le pouvoir entre 2020 et 2022 et entendent y rester. Niger mis à part, cette bande est ainsi devenue la « bande des juntes ». 

Analyse d’une tendance qui, malgré les promesses des putschistes, n’annonce nullement l’avènement – ou la restauration – de la démocratie dans les pays concernés.

Putschs de guerre, putschs de paix et putsch consenti.

Commençons par un bref rappel des événements.

  • Au Mali, le 18 août 2020, le colonel Assimi Goïta a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, au pouvoir depuis 2013. En mai 2021, le colonel Assimi Goïta a démis et remplacé le président de la transition, Bah N’Daw.
  • Au Tchad, le 21 avril 2021, le général Mahamat Déby a succédé avec l’appui d’un Conseil militaire de transition (CMT) à son père tué en pleine opération militaire.
  • En Guinée, le 5 septembre 2021, le colonel Doumbouya a renversé le président Alpha Condé réélu depuis 2010.
  • Soudan, le 25 octobre 2021, le général Abdel Fatah al-Burhane a fait un putsch au sein de la transition ouverte par la chute du régime d’el-Béchir en 2019 en mettant fin au gouvernement civilo-militaire et en arrêtant le premier ministre Hamdok, en poste depuis 2019.
  • Au Burkina Faso, le 24 janvier 2022, le colonel Damiba a renversé le président Roch Marc Christian Kaboré élu depuis 2015. En octobre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a démis et remplacé le lieutenant-colonel Damiba.

Bien que tous ces pays aient une longue histoire de pouvoirs militaires, il faut distinguer, dans cette succession de coups de force, les « putschs de guerre », les « putschs de paix » et le putsch consenti tchadien. Les premiers (Mali et Burkina Faso) sont motivés par la défaite progressive face aux groupes djihadistes et le mécontentement consécutif des militaires vis-à-vis du pouvoir civil.

Les noms que se sont donnés les putschistes au Burkina Faso (Comité national pour le salut du peuple, CNSP) et au Mali (Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, MPSR) illustrent leur motivation : prendre les rênes de la guerre pour sauver le pays face à ses ennemis.
Parmi ces cinq coups d’État, le Tchad est un cas particulier car il peut être qualifié de putsch consenti. En effet, il n’y a pas eu de renversement du pouvoir, mais une succession familiale anticonstitutionnelle dans laquelle l’oligarchie militaire a joué un rôle-clé.

Après le décès inattendu du président Déby, le président de l’Assemblée nationale Haroun Kabadi a renoncé à être président par intérim comme le prévoyait la Constitution, au profit d’un des fils de Déby et d’un groupe de généraux (Conseil militaire de transition, CMT). Dans la mesure où les protestations ont été minoritaires et vite réprimées, la succession militaro-dynastique a été consentie par la majorité de la classe politique, y compris des figures historiques de l’opposition.

Quant aux « putschistes de paix » (Guinée, Soudan), ils ont – de même qu’au Tchad – pris le pouvoir pour préserver des intérêts, avant tout ceux de l’armée. Au Soudan, la transition prenait une direction dangereuse pour l’oligarchie militaire, le comité de démantèlement du régime d’Omar el-Béchir commençant à s’intéresser de près à son empire économique. Le putsch a donc mis un coup d’arrêt à la « débachirisation » du pays et s’est traduit par le retour aux affaires de plusieurs fidèles d’el-Béchir.

Au Tchad, le demi-putsch visait la conservation du pouvoir par le groupe militaro-clanique qui soutenait Idriss Déby. En Guinée, si le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) a justifié son putsch par la nécessité de « fonder une nation et de bâtir un État », il représente aussi et surtout des intérêts particuliers à l’intérieur des forces de sécurité. Dans ces trois pays, des mesures salariales en faveur des forces de sécurité ont d’ailleurs rapidement été ordonnées par les nouveaux dirigeants.

Gagner du temps, s’installer au pouvoir

Ces juntes ne sont pas uniformes. En revanche, elles ont toutes la même stratégie pour résister à un retour rapide à l’ordre constitutionnel, qui est une demande à la fois interne (partis politiques, organisations de la société civile) et externe (Cédéao, Union africaine, UE, ONU, etc.). Les juntes font des concessions cosmétiques et gagnent du temps en retardant l’application du schéma habituel de retour à l’ordre constitutionnel. Élaboré au fil des nombreuses transitions en Afrique (Tchad 1993-1997, République démocratique du Congo 2003-2006, Centrafrique 2014-2016, etc.), ce schéma prévoit l’inéligibilité des dirigeants des gouvernements de transition et trois étapes politiques :

  • Un dialogue national. Il permet généralement de créer un consensus sur les principes de la future Constitution et de l’organisation des élections.
  • Une nouvelle Constitution. Elle est généralement validée par un référendum.
  • Des élections présidentielle et législatives. La mise en place d’un gouvernement et d’un Parlement élus au suffrage universel clôture la transition.

Pour l’heure, seules les autorités maliennes, tchadiennes et guinéennes ont franchi la première étape. Encore ont-elles mis un an pour organiser un dialogue national qui a été en partie boycotté et qui a abouti, au Tchad, à une répression violente.

Au Soudan, la tentative d’organiser un dialogue entre militaires et civils a échoué au printemps 2022 pour réussir en décembre. Dans tous les pays, les putschistes ont refusé l’idée d’une transition courte (entre six et dix-huit mois selon les pays) voulue par la Cédéao et l’UA. La perspective d’élections en 2022 s’est donc rapidement éloignée et, après de longues négociations, les pouvoirs putschistes ont fini par accepter une transition en deux ans.

Théoriquement, toutes ces transitions militaires devraient donc s’achever par des élections en 2024. Si cette date est respectée, seul le Burkina Faso aura connu une transition de deux ans, et les autres putschistes seront restés au pouvoir trois ou quatre ans avant l’échéance électorale. Ils auront donc réussi à imposer des transitions longues, décrocher quelques années de pouvoir et, pour certains d’entre eux (Tchad, Mali, Soudan), refuser le principe de l’inéligibilité des dirigeants des juntes aux prochaines échéances électorales. Dans ces trois pays, l’installation des putschistes aux commandes du pays pendant plusieurs années et la possibilité de se présenter aux élections ne laissent guère de doutes sur leur intention de conserver le pouvoir après la transition.

En outre, quelques concessions secondaires des juntes permettent d’atténuer les pressions internes et externes. En supprimant le CMT à la fin 2022, Mahamat Deby a donné la fausse impression d’une démilitarisation de la transition et, avec l’accord de décembre 2022, le général Abdel Fatah al-Burhane rend possible le retour à un gouvernement civilo-militaire de transition au Soudan en 2023.

[...]

> Retouvez l'intégralité de la tribune dans The Conversation [1]