Publié le 15/04/2008

Julien KITA

Alors que le premier ministre François Fillon se rend au Japon, acteur majeur du jeu international, les interrogations se multiplient quant à la viabilité du système politique japonais.

La crise institutionnelle actuelle

Depuis les élections de juillet dernier, une coalition menée par le Parti Démocrate (PDJ) contrôle la Chambre des conseillers (Chambre haute). Cette situation inédite[1] d'une Diète divisée entre 2 chambres opposées (Nejirekokkai) limite considérablement la marge de manœuvre du premier ministre Yasuo Fukuda.

Le vote des projets de loi soumis par la coalition gouvernementale du Parti Libéral Démocrate (PLD) et du Parti Komeito n'est plus assuré. Si le gouvernement souhaite imposer l'adoption d'un texte de loi rejeté par la Chambre des conseillers, il n'a d'autre choix que de faire appel aux dispositions constitutionnelles prévoyant la primauté de la Chambre des représentants. Ces procédures ne sont cependant pas sans contraintes, le respect des conditions d'application entraîne un ralentissement important voire un blocage de l'activité législative.

Ainsi, le 11 janvier dernier, le PLD a fait adopter la loi spéciale antiterroriste préalablement rejetée par la Chambre haute en utilisant l'article 59 de la Constitution. Conformément à cet article, l'adoption définitive de cette loi par la Chambre basse n'a pu se faire qu'après un délai de 60 jours après le premier vote et par un nouveau vote à la majorité qualifiée des deux tiers. De même, l'adoption définitive du projet de loi de finance n'a pu avoir lieu que le 28 mars soit 30 jours après sa première adoption par la Chambre basse, soit le délai minimal prévu par l'article 60 de la Constitution encadrant le principe de primauté de la Chambre basse en matière budgétaire.

Le ralentissement du processus législatif est une véritable entrave à la politique gouvernementale. Ainsi le rejet de la loi sur le renouvellement de la taxe sur les carburants par la Chambre haute, loi qui arrivait à son terme le 31 mars, remet déjà en cause la bonne application du projet de loi de finance en entraînant un déficit de financement des infrastructures routières. Cet échec ne manque pas de susciter des interrogations sur l'exercice du pouvoir dans le contexte d'une Diète divisée. D'autant plus que celui-ci intervient quelques jours après les échecs successifs de nomination d'un successeur au gouverneur de la Banque centrale, échecs ayant entraîné plus de deux semaines d'intérim dans un contexte de crise financière mondiale.

Ces événements posent non seulement la question des limites du fonctionnement institutionnel mais jettent également le doute sur la capacité du premier ministre à gouverner le pays.

La fin annoncée du gouvernement Fukuda

L'opposition semble déterminée à exploiter la faiblesse du premier ministre et à maintenir la pression sur le gouvernement afin de précipiter des élections anticipées. Ichiro Ozawa, le Président du PDJ, fait régulièrement des déclarations en ce sens[2]. Il est vrai que le contexte actuel de faible popularité du premier ministre[3] laisse augurer un résultat favorable au PDJ. Et même hors des rangs du PDJ, il semble exister aujourd'hui un consensus au sein de la classe politique japonaise pour reconnaître la nécessité d'élections anticipées afin de mettre fin à la paralysie gouvernementale. De telles élections n'auraient rien d'exceptionnel, la dissolution de la Chambre basse est une pratique politique courante au Japon. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, une seule législature, en 1976, est arrivée au terme de ses 4 années de mandat.

Conscient du danger que représenteraient des élections anticipées pour son parti dans le contexte actuel, le premier ministre ne cesse de repousser cette échéance en mettant en avant la nécessité de maintenir la stabilité du pays avant les grands sommets internationaux de la TICAD à Yokohama en mai et du G8 à Hokkaido en juillet.

Cependant les semaines à venir vont être décisives pour le premier ministre, si celui-ci n'arrive pas à enrayer sa baisse de popularité et à faire la démonstration de sa capacité à gouverner le pays, il pourrait bien être acculé à la démission avant ces échéances.

Le Parti Démocrate au pouvoir ?

Si la possibilité d'une démission du premier ministre sans dissolution de la Chambre des représentants ne peut être totalement écartée, il est plus probable que celui-ci procède à la dissolution et convoque des élections générales.

Dans ce cas de figure, une victoire du PDJ est plus que jamais possible, l'impopularité de Yasuo Fukuda et l'absence de lisibilité de sa politique[4] ne manquant pas d'être exploitées.

Une large victoire d'un PDJ bénéficiant de la majorité absolue serait un changement politique majeur. Cela mettrait fin une seconde fois à la singularité japonaise de démocratie sans alternance politique. Comme en 1993, Ichiro Ozawa serait l'artisan de la chute du PLD mais bénéficierait cette fois-ci d'une assise bien plus solide[5]. Une telle victoire ferait néanmoins figure de test pour le PDJ dont la capacité à gouverner n'a pas encore été démontrée. La question de l'unité à terme d'un parti très hétéroclite est posée.

En ce qui concerne la politique intérieure, il faut sans doute s'attendre à des changements modérés. En effet, l'état des finances publiques japonaises marquées par un endettement record ne laisse qu'une faible marge de manœuvre au gouvernement. On peut toutefois envisager quelques décisions symboliques marquant la rupture avec le PLD. Tout d'abord une universalisation du système de retraite financé directement par les recettes de l'Etat en contrepartie d'une augmentation de la TVA, ce qui mettrait fin au scandale de la disparition d'une partie du fichier des retraites ; ou encore une plus grande autonomie des collectivités locales par rapport au gouvernement central. Il s'agit là en effet d'un thème cher au PDJ, comme l'a illustré le récent rejet de la loi de renouvellement de la taxe sur les carburants, accusée de placer les collectivités locales dans une position de dépendance vis à vis du gouvernement central à travers l'octroi des subventions pour les infrastructures routières.

Au regard du profil de Ichiro Ozawa, la politique étrangère japonaise risque de connaître des changements plus profonds. Ichiro Ozawa a toujours été partisan d'une ' normalisation ' du Japon sur la scène internationale, son point de vue exprimé dès 1993 dans son best seller Blueprint for a new Japan a fortement influencé la ligne idéologique du PDJ. Cette ' normalisation ' passe par une plus grande implication du Japon dans les affaires du monde. Mais cette participation doit se faire dans le cadre de l'ONU, seul organisation unanimement reconnue. Concrètement, cela pourrait signifier un engagement plus important du Japon dans les opérations de maintien de la paix de l'ONU ou autorisées par l'ONU, Ichiro Ozawa s'est d'ailleurs déclaré favorable à la participation du Japon à l'ISAF en Afghanistan[6]. Si l'alliance avec les Etats-Unis n'est pas remise en cause, le souhait du PDJ est de modifier l'équilibre de l'alliance afin de s'éloigner du soutien inconditionnel à la politique étrangère américaine. Ce soutien a été une nouvelle fois violemment critiqué lors du vote de la loi spéciale antiterroriste permettant à la marine d'autodéfense de mener les activités de ravitaillement des flottes américaines dans l'Océan Indien. En cas de victoire du PDJ, la politique étrangère du Japon pourrait donc devenir plus indépendante et plus critique à l'égard des Etats-Unis, à l'image de celle des pays européens.

Cependant, bien que le PDJ soit dans une position plus favorable que son rival pour remporter des élections prochaines, cette victoire n'est pas encore acquise. En effet, l'accroissement des opinions défavorables à l'encontre du PLD n'entraîne pas nécessairement de report massif en faveur du PDJ[7]. En cas de majorité indécise à la Chambre des représentants, une grande coalition entre PLD et PDJ n'est pas complètement exclue comme en témoigne la réponse ambiguë de Ichiro Ozawa à la proposition d'alliance du PLD en novembre dernier. Dans un tel scénario, un déchirement des factions menant à un éclatement du PDJ n'est pas exclu, et pourrait déboucher sur une nouvelle recomposition de la scène politique japonaise.

 


[1] Ce cas de figure est arrivé une fois en 1989.

[2] Dans une interview sur Fuji TV le 6 avril, Ichiro Ozawa a déclaré que 'la dissolution de la Chambre des représentants avant le sommet [du G8 à Hokkaido] était [son] premier objectif'.

[3] Sondage Fuji News Network réalisé du 2 au 3 avril 2008: le premier ministre obtient 23,8% d'opinions favorables contre 59% d'opinions défavorables.

[4] Sondage Yomiuri Shimbun réalisé du 15 au 16 mars 2008: 89% des sondés déclarent ne pas bien comprendre la politique menée par le premier ministre.

[5] Le PLD a perdu la majorité une première fois en 1993, Ichiro Ozawa avait été à l'origine de cette défaite en quittant le PLD avec d'autres membres et en créant un nouveau parti le Parti du renouveau (Shinseito).

[6] Site du PDJ, Ozawa Ichiro daihyou tero no tatakai gimon ni kotaeru

[7] Sondage Yomiuri Shimbun réalisé du 1er au 2 avril, le PDJ obtient 29% des intentions de vote contre 26% pour le PLD