Publié le 10/06/2008

Julien KITA

Du 28 au 30 mai dernier s'est tenue à Yokohama la quatrième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD). Cette initiative japonaise co-organisée par l'ONU, le PNUD et la Banque mondiale lancée en 1993 et qui a lieu tous les cinq ans a pour ambition de faire progresser le dialogue entre les responsables africains et les responsables des pays ou organisations internationales qui s'investissent dans l'aide au développement. Cette quatrième conférence a réuni des représentants de 51 pays africains dont 40 chefs d'Etat et de gouvernement. L'ampleur de cette édition et les annonces qui y ont été faites illustrent l'intérêt persistant du Japon pour l'Afrique.

Depuis 1993, les TICAD proposent un cadre global de coopération entre les pays africains et leurs partenaires pour le développement. Les trois éditions précédentes ont permis au Japon de tisser des liens avec les pays africains. Pour construire cette relation, Tokyo s'est démarqué des grandes puissances occidentales en mettant en avant sa singularité d'ancien pays receveur d'aide au développement et également son expérience positive de pays donneur en Asie. L'approche japonaise en matière de développement met l'accent sur la croissance économique et l'implication du receveur autour du concept 'd'appropriation du développement'[1]. Cette approche a pu séduire bon nombre de pays africains. Tokyo a toutefois dû faire face en matière d'aide au développement et de stratégie africaine à une concurrence chinoise particulièrement agressive.

Cette dernière édition de la TICAD a donc été marquée par une volonté japonaise très forte de renforcer ses liens avec l'Afrique et de reprendre l'initiative. Dans son discours d'ouverture de la conférence, le premier ministre japonais Yasuo Fukuda a annoncé le doublement de l'aide publique au développement (APD) à l'Afrique dans les cinq prochaines années. Il a également annoncé la mise à disposition de 4 milliards de dollars en cinq ans sous forme de prêts destinés à développer les infrastructures et la mise en place par la Banque japonaise pour la coopération internationale (JBIC) d'un fond d'aide aux investissements en Afrique pour porter son soutien financier à 2,5 milliards de dollars en cinq ans. Ce soutien financier doit permettre de doubler les investissements privés japonais en Afrique d'ici 2012. Par ailleurs, la coopération technique dans le domaine agricole et sanitaire va être renforcée.

Ces annonces s'inscrivent dans la continuité de la politique initiée en 2005 par le premier ministre de l'époque Junichiro Koizumi qui s'était alors engagé à doubler l'APD japonaise à l'Afrique en trois ans. L'augmentation de l'APD japonaise à l'Afrique est d'autant plus significative que celle-ci intervient dans un contexte de baisse régulière du montant global de l'APD japonaise depuis 2000 (excepté 2005 et 2006 en raison de l'effacement de la dette de certains pays), baisse qui a entraîné la relégation du Japon au cinquième rang mondial des pays donneurs en 2007.

Cet effort japonais en direction de l'Afrique illustre la volonté japonaise de renforcer ses positions en Afrique à un moment où ce continent attise toutes les convoitises et notamment celle du voisin chinois.

Du point de vue économique, les perspectives offertes par le continent sont encourageantes. La croissance moyenne s'élevait à 5,7% en 2007, et malgré les grandes disparités de développement, l'émergence dans un certain nombre de pays d'une classe moyenne pourrait offrir de nouveaux débouchés aux entreprises japonaises. Mais c'est surtout sa richesse en ressources naturelles qui fait de l'Afrique, un continent incontournable. La montée des cours des matières premières inquiète la deuxième puissance économique mondiale et lui impose de sécuriser des sources d'approvisionnement nouvelles en Afrique. Ceci d'autant plus que les pays occidentaux et la Chine ont pris de l'avance.

La TICAD est donc l'occasion pour le Japon de rattraper son retard en lançant une 'diplomatie des ressources'[2]. A ce titre, si elles les a précédées, la TICAD s'inscrit désormais au côté des dernières initiatives chinoises ou indiennes telles que le Forum de coopération Afrique-Chine de 2006 et le Forum Inde-Afrique d'avril 2008. Si le gouvernement semble avoir réussi son pari en égalant voir en dépassant la performance de Pékin en 2006[3], il lui reste beaucoup à faire pour rattraper la percée économique chinoise sur le continent. Ainsi alors que les échanges entre l'Afrique et la Chine ont atteint 73 milliards de dollars en 2007, les échanges avec le Japon n'ont été que de 26 milliards de dollars. Pékin se trouve également aujourd'hui au premier rang des donneurs d'aide à l'Afrique tout en insistant sur 'l'inconditionnalité' de cette aide. Face à ce nouvel instrument de la stratégie extérieure de la RPC le Japon, comme les Etats européens est sur la défensive.

Les enjeux ne sont pas seulement économiques, les ambitions politiques du Japon sur la scène internationale dépendent aussi du soutien des pays africains. L'obtention d'un siège au Conseil de sécurité nécessite le plus large soutien possible. Enfin, l'investissement du Japon dans le développement de l'Afrique ne peut que l'aider à renforcer une image d'acteur responsable à l'écoute des besoins de la communauté internationale à un moment où le pays cherche à normaliser son positionnement stratégique. L'intérêt grandissant du Japon pour l'Afrique est une bonne nouvelle pour les pays africains. Si l'APD japonaise prend en compte les spécificités africaines, elle pourrait se montrer aussi bénéfique pour l'Afrique qu'elle l'a été pour l'Asie. Combinée à des investissements privés plus importants, elle pourrait jouer un rôle non négligeable dans le développement du continent. Il semble donc qu'il existe aujourd'hui une convergence d'intérêts entre partenaires africains et japonais, potentiellement favorable à l'établissement de 'relations de bénéfice mutuel'[4], concept cher à la diplomatie japonaise.


[1] 'Kaihatsu no ônâshippu'

[2] Mainichi Shimbun, 29 mai 2008 'Shigen gaikou ni seifu yakki'

[3] Le Forum de coopération Afrique-Chine de novembre 2006 avait réuni des représentants de 48 pays dont 41 chefs d'Etat et de gouvernement.

[4] 'Gokei kankei'