Publié le 20/12/2010

Après deux décennies de rêve multilatéral, la vitalité neuve des « murs » nous rabat sur les classiques couples conflictuels. Le dossier que nous consacrons à ces coupures, à ces contingentements des espaces de conflit, décrit cependant toute la complexité de ces murs, la diversité de leurs statuts stratégiques. Ces murs sont en réalité tout sauf d’impénétrables séparations qui auraient pour fonction de régler, même provisoirement, les conflits dont ils sont l’emblème.

Les murs d’aujourd’hui séparent, certes : ils interprètent un désir d’auto-définition, de protection, contre les portes grand ouvertes de la globalisation ; et constituent, plus classiquement, le point d’orgue d’un processus rampant d’explosion du pacte social qui rendait possible jusqu’alors la cohabitation communautaire. Mais ni entre Israël et les Palestiniens, ni entre le Mexique et les États-Unis, ni même à Chypre, les murs ne sont pures séparations. Ils constituent des pivots pour l’organisation d’espaces spécifiques de passage, ou d’échanges, des limes plus ou moins profonds. Leur fonctionnement particulier – il faut voir ces murs non comme des lignes, mais comme des systèmes vivants – s’articule à d’autres modes de traitement du conflit, dans l’entière profondeur des sociétés en cause. Ils sont aussi, de manière plus moderne, des lieux de projection de frontières mentales spécifiques aux constructeurs : la « frontière » inatteignable de la sécurité intérieure par exemple. Voire le lieu de la mise en scène, avec les smart walls , de fantasmes de modernité, de supériorité technologique…

On relèvera d’ailleurs comme, curieusement, notre temps – moderne, post-moderne ? – semble tenté d’en revenir à nombre de vieux concepts, déjà plusieurs fois usés par l’histoire des conflits du siècle passé : la fameuse « contre-insurrection », ou le barrage technique contre l’insurgé menaçant (voir la ligne Challe des années 1950), ou contre un ennemi plus classique (la nouvelle ligne Maginot des défenses antimissiles…)

En bref, ces murs, une des inscriptions possibles des conflits dans l’espace, nous parlent de notre espace conflictuel contemporain, et même au cœur de nos sociétés où s’élèvent de plus en plus les murs invisibles qui dessinent peut-être les lignes des conflits de demain.

 

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Peut-être, au contraire, n’y a-t-il plus de Sahara – comme il n’y a plus de Pyrénées… Le citoyen du nord de la Méditerranée oscille souvent, dans sa vision du Sud, entre l’ignorance totale du développement de l’islam en Afrique subsaharienne et un réveil effaré face au diagnostic d’une « invasion »… L’affaire est, on s’en doute, plus complexe, et mérite l’autre dossier que lui consacre cette livraison, dossier qui emprunte des modes d’approche généralement ignorés. Si les « murs » nous renvoient le plus souvent au classique bilatéralisme du conflit, le fort développement de l’islam au sud du Sahara nous plonge dans des mouvements très complexes, qui nous rappellent que les relations internationales sont le produit construit d’acteurs multiples et divers. L’expansion africaine de l’islam ne relève ni d’une simple et irrépressible action des sociétés civiles, ni d’une pure manipulation des diplomaties étatiques. Elle est un produit mixte.

Au-delà de l’obsession terroriste qui structure souvent les lectures occidentales, l’objet mouvant que constitue l’islam africain renvoie à la fois à l’efficacité des confréries transnationales, à la diffusion de normes de comportement social par les appareils éducatifs religieux, à l’enracinement progressif des systèmes de finance islamique, au niveau global ou de la microfinance, et bien sûr à l’instrumentalisation de la dimension religieuse par des États soucieux d’étendre leurs espaces d’influence, ou de s’opposer à la progression des autres. [...]


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