Publié le 09/05/2011

Hélène QUENOT-SUAREZ

La crise que traverse le Burkina depuis fin mars peut étonner dans ce pays réputé dans la sous-région pour sa paix civile. Pourtant, la " situation nationale ", comme la nomment les Burkinabè, est suffisamment complexe et sérieuse pour que le président Blaise Compaoré ait dû prendre des mesures rapides et exceptionnelles.

La crise est complexe car multiforme. Les élèves et les étudiants protestent, entre autres, depuis fin février en raison de la mort à Koudougou de Justin Zongo, un jeune lycéen qui aurait succombé à des coups portés par la police. Les syndicats ont de leur côté dénoncé, lors d’une manifestation le 8 avril dernier, l’augmentation du coût de la vie, d’autant plus dramatique que le pays est enclavé et que les produits importés sont, en règle générale, beaucoup plus chers que dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest en raison de la situation d’enclavement du pays. Les militaires, enfin, se sont mutinés mi-avril, pillant les villes et provoquant même le repli temporaire de Blaise Compaoré dans sa ville natale de Ziniaré. Ils protestaient contre la condamnation à de la prison ferme par un tribunal civil de certains de leurs camarades, impliqués dans des affaires de mœurs. Les magistrats, dont le jugement a été remis en cause, ont, en retour, protesté de cette décision. Par ailleurs, les militaires ont largement pillé les villas de leurs supérieurs ainsi que les magasins de la ville, ce qui a entraîné la protestation des commerçants.

Quel est le lien entre toutes ces manifestations de mécontentement ou de violence si disparates qui ont pourtant inquiété le pouvoir ? Quelle relation existe-t-il entre des soldats qui pillent et terrorisent la ville sans autre justification que leur bon vouloir, des syndicats qui protestent avec raison contre l’augmentation des denrées alimentaires et du prix de l’essence, des magistrats remis en cause, des commerçants excédés et des étudiants inquiets ?

Derrière cette contestation éclatée, se cache pourtant un profond facteur d’unité de cette crise qui témoigne de la rupture du pacte social entre la famille Compaoré et la population. Les Burkinabè ont longtemps été très tolérants vis-à-vis de Blaise Compaoré et de sa famille, qui ont su se tailler la part du lion dans les affaires burkinabè du fait de leur position dominante. Si l’on évoquait ce point avec eux, les Burkinabè rappelaient que " Blaise ", même si lui et sa famille semblaient parfois de préoccuper plus volontiers de leurs affaires personnelles que de celles du pays, assurait du moins la paix civile. Dans un pays marqué par l’ingérence répétée, en particulier dans les années 1980, des militaires dans la vie politique, c’était un argument de poids [1].

Mais la famille Compaoré est sans doute allée trop loin. Alizeta, par exemple, la " belle-mère présidentielle " (de François, le frère cadet de Blaise), a la haute main sur l’essentiel de l’immobilier de Ouagadougou. Au-delà du clan, c’est l’ensemble des élites burkinabè qui s’est (trop ?) enrichi. Ainsi, sans justifier les débordements des militaires, il apparaît que l’écart s’est creusé entre la base et les officiers, qui gèrent leur carrière comme des businessmen et possèdent des villas dans l’extravagant quartier de Ouaga 2000, et a entraîné un profond mécontentement. Cette liberté de s’enrichir, garante de la paix civile, a donc creusé un fossé irréconciliable avec une population qui voit son pouvoir d’achat, souvent bas, s’affaiblir encore et est ainsi devenue la raison même des troubles qui traversent le Burkina.

Ces troubles sont d’autant plus importants qu’ils interviennent pour Blaise Compaoré après 24 ans d’un pouvoir sans partage mais qui tend à s’éroder. Le fait que le président n’ait pas employé la force pour contenir les mutins a pu passer pour de la sagesse. Il est cependant également possible que celui-ci n’ait plus assez d’autorité sur ses propres hommes pour envisager ce recours à la force. Or, " Blaise " ne s’y est pas trompé : il fallait agir vite. Il a donc choisi le dialogue en nommant un Premier ministre peu politisé et très communicant, Luc Adolphe Tiao [2], et en ouvrant à la concertation avec les différents groupes qui ont protesté. Ces mesures ne seront peut-être pas suffisantes mais, sous la pression populaire, le président pourrait faire de véritables concessions à son pouvoir. Ce sera alors à la société civile, organisée et active au Burkina, d’être assez attentive pour que le président, très habile politique, ne propose pas que des mesures cosmétiques qui lui permettent de se prolonger indûment à son poste.



[1] Pour plus de détails, voir la chronologie proposée par G. Madiéga : http://www.histoire-afrique.org/article114.html?artsuite=8 [1]


[2] Luc Adolphe Tiao était ambassadeur du Burkina Faso en France. C’est également l’ancien président du Conseil supérieur de la communication. Il est journaliste de formation. Pour plus de détails : http://www.lefaso.net/spip.php?article41651 [2]