Publié le 18/03/2013

Le dossier que présente Politique étrangère sur Israël s’attache certes aux multiples particularités de l’État juif. Mais il est clair que les problématiques, internes ou externes, propres à ce dernier ont des échos très longs, et jusque dans nos interrogations sur nos stratégies ou même le fonctionnement de nos sociétés politiques.

L’avenir « post-printemps » des sociétés arabes paraît opaque, et inquiète. Les révolutions installent toujours au pouvoir des classes et des organisations qui n’en ont pas la pratique et qui sont priées de gérer des situations rendues ingouvernables par les précédents pouvoirs. Et la diversité des pays arabes rend impossible la réflexion sur un modèle d’évolution unique. Cette imprévisibilité touche particulièrement Israël, pris dans une géométrie politique qui articule les chaos égyptien et syrien, les incertitudes iraniennes et libanaises, avec les sinueuses stratégies des monarchies du Golfe. Contrairement à un espoir fou – mais extérieur à la région –, les révolutions « démocratiques » arabes ont bien élargi la distance qui sépare les nouveaux régimes d’Israël. Le renversement des dictatures arabes n’a donc nullement apaisé la géopolitique régionale.

Dans ce contexte, où situer la question palestinienne ? On ne peut qu’être frappé par le fait que logique internationale et logique israélienne semblent se développer dans des sens exactement contraires. À l’Organisation des Nations unies (ONU), les Palestiniens recueillent une large majorité pour une reconnaissance de facto, alors que la longue évolution de l’opinion israélienne – hors même les déclarations de la classe politique – marginalise l’hypothèse d’une paix négociée avec l’entité palestinienne. À cet égard, on ne peut que s’interroger sur les effets possibles des étranges résultats des élections législatives de janvier 2013. L’échec conjoint de la droite et de la gauche, sanctionné par l’émergence d’un centre large mais composite, permettra-t-il la reprise du dialogue avec l’Autorité palestinienne – ce que pourrait laisser envisager le retour de Tsipi Livni ?

L’évolution du corps électoral israélien, telle que mesurée en janvier 2013, paraît en effet quelque peu baroque : le peuple vote désormais « à droite » et les nantis « à gauche » ; et, pour Samy Cohen, on assiste moins à une droitisation de l’électorat qu’à une « dégauchisation », découlant du constat que les partis de gauche – qui n’osent même plus se dire tels – paraissent incapables d’assumer leurs choix stratégiques passés (les accords d’Oslo) et de se confronter avec des solutions spécifiques aux questions politiques présentes. La « dégauchisation » a aussi très largement touché le secteur économique : l’exercice du pouvoir par la droite s’est traduit par la privatisation d’entreprises publiques, la baisse des charges patronales, une relance de l’innovation – le tout débouchant sur une incontestable réussite économique, mais aussi sur des déséquilibres sociaux de plus en plus pesants.

Quant à l’armée israélienne, comme d’autres mais plus que d’autres, elle doit s’adapter à un avenir aux multiples hypothèses. L’avance technologique ne garantit plus sa prééminence dans tous les types de conflit concevables. L’« emmurement » et la dissuasion restent des concepts centraux, mais ne peuvent plus être désormais vus comme les bases exclusives de la sécurité israélienne. L’adaptation est donc ici aussi exigeante, en un temps où la division de la société israélienne se répercute sur l’appareil militaire et où les politiques d’acquisition d’armement demeurent une obsession – qui dépend en grande partie des rapports avec Washington.

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Dans cet « Orient compliqué », il est un joueur dont on peine à définir le statut et la surface : la Russie. Réputé absent depuis la disparition de l’URSS, Moscou n’a en réalité jamais déserté les lieux, jouant des cartes qui demeuraient à sa main : niches ignorées de la domination américaine après 1992, rapprochement avec Israël dû à l’immigration russe, rapports avec l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), etc.

Moscou, très présent dans la crise syrienne, joue dans la région sur plusieurs niveaux, qui allient l’engagement conjoncturel à des héritages plus anciens. La dimension énergétique est de toute évidence capitale : la Russie poutinienne a fondé son sursaut économique sur la rente pétrolière et gazière, les prix de marché de ces deux ressources dépendant largement des décisions de l’OPEP et dans cette dernière du poids des acteurs pouvant utiliser leurs ressources pour peser sur les cours : au premier chef l’Arabie Saoudite. Le dialogue, parfois heurté, avec l’OPEP est donc au centre même de l’intérêt russe, ce qui oblige le Kremlin à une politique suivie dans la région. […]