Publié le 25/04/2013

Alice EKMAN

Au seuil de la visite de François Hollande en Chine, les déclarations officielles sur l’importance des relations bilatérales entre la Chine et la France se multiplient. Mais la relation est-elle si importante aux yeux des dirigeants chinois ?

Une chose est certaine : Pékin ne regarde plus la France de la même manière qu’il y a cinq ans. Dans le classement général que la Chine a tendance à établir entre pays étrangers, selon leur poids économique, leur influence, leur situation géographique, leur histoire et de façon générale leur importance estimée, la France se situe loin derrière les Etats-Unis, mais aussi et de plus en plus de l’Allemagne.

Baisse relative de la " valeur " de la France aux yeux de Pékin

A Pékin, on constate à la fois une baisse de la " valeur " des pays européens en général - dans un contexte de crise de la dette dans la zone euro, mais aussi de rééquilibrage stratégique américain vers l’Asie-Pacifique, - et un renforcement des écarts de valeur entre pays européens, en fonction de leur capacité de résistance à la crise.

Bien entendu, les perceptions varient selon les institutions chinoises, mais la tendance est réelle et visible sur le terrain depuis le début de la crise économique et financière à l’automne 2008 : il existe par exemple, entre France et Allemagne, une asymétrie croissante pour ce qui est de l’accès aux autorités chinoises, de l’accès à l’information (Pékin informe souvent l’Allemagne en premier), ou encore de l’intérêt des médias et des chercheurs chinois pour chaque pays. Aujourd’hui, l’Allemagne, premier investisseur européen sur le marché chinois, est de loin le pays européen le plus important aux yeux de la Chine.

La valeur économique et stratégique de l’Europe telle qu’estimée par la Chine est en baisse, mais pas l’attention portée à l’Europe - au contraire, les autorités chinoises sont constamment préoccupées par la situation économique de la zone euro, et espèrent son rétablissement rapide, la croissance de l’économie nationale dépendant largement des exportations.

L’Europe est un marché incontournable, et la France demeure un pays européen d’intérêt majeur aux yeux de Pékin pour des raisons politiques et économiques : elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, contrairement à l’Allemagne ; elle dispose d’une expertise et de capacités de formation dans plusieurs secteurs d’intérêt pour la Chine (énergie, aérospatial, transports, etc.) ; Paris pourrait devenir une place financière privilégiée pour les transactions en yuan au sein de la zone euro, contrairement à Londres ; et globalement le marché français est stratégique pour le développement européen des entreprises chinoises.

La France est également perçue par Pékin comme un des principaux défenseurs européens d’une vision multipolaire des relations internationales, qui serait proche de celle de la Chine, et capable de contrebalancer, à terme, celle des Etats-Unis. Cette proximité théorique est d’importance secondaire et la diplomatie chinoise demeure avant tout pragmatique ; mais elle contribue, de temps à autres et selon les dossiers, à renforcer l’intérêt de la France aux yeux de la Chine.

Par ailleurs, les liens historiques et culturels forts tissés depuis la reconnaissance précoce de la République populaire de Chine par de Gaulle en 1964 - dont le 50e anniversaire sera célébré début 2014 - ne servent pas seulement d’éléments de langage pour les déclarations officielles ; ils contribuent encore aujourd’hui à cimenter les relations bilatérales. La diplomatie chinoise leur accorde encore beaucoup d’importance. Cette image historiquement positive de la France en Chine transcende celle des partis politiques, y compris celle du Parti socialiste, plutôt négative aux yeux de nombreux cadres du Parti communiste chinois, qui ont parié sur Nicolas Sarkozy jusqu’au dernier jour de la campagne présidentielle de 2012, et craignent que le PS ne prenne des décisions sur une base plus " idéologique " que les partis de droite, concernant les droits de l’homme en particulier.

Inverser la tendance ?

Pour toutes ces raisons, la baisse de valeur de la France aux yeux de Pékin est relative. Mais les rencontres bilatérales récentes et à venir peuvent-elles inverser la tendance et renforcer l’intérêt chinois pour la France ? Il n’y a pour l’instant pas eu de couac depuis l’arrivée des nouvelles équipes dirigeantes françaises et chinoises. Les premiers gestes - l'ambassadeur Kong Quan reçu par François Hollande dès le lendemain de son élection, notamment - ont été appréciés par Pékin, tout comme les déclarations sur la prévisibilité, la stabilité et la réciprocité de la relation, martelées par Laurent Fabius lors de son premier déplacement comme ministre des Affaires étrangères en juillet 2012. Mais ces éléments ne différencieront pas la France des autres pays. La France ne pourra sensiblement remonter dans le classement chinois des pays d’importance qu’en mettant davantage en valeur ses avantages comparatifs, ceux qui seront directement utiles à Pékin dans sa stratégie de réduction des écarts de développement entre provinces, et de développement de la consommation intérieure.

La France s’oriente vers une diversification des secteurs de coopération économique, au-delà des secteurs traditionnels tels le nucléaire ou l’aéronautique. De nouveaux secteurs ont été identifiés pour mettre directement en adéquation offres françaises et demandes de la population chinoise : santé, dans un contexte d’extension de la couverture maladie, de modernisation des structures hospitalières, de vieillissement de la population; agroalimentaire, alors que la Chine fait toujours face à des problèmes de sécurité alimentaire, et que les consommateurs s’orientent en masse vers les marques étrangères ; développement urbain durable, dans un contexte d’urbanisation accélérée, de baisse de la qualité de l’air et pénurie d’eau dans plusieurs grandes villes, etc. Des partenariats sont également prévus dans le secteur de l’économie numérique.

Mais dans tous ces secteurs, les avantages comparatifs de la France demeurent fragiles. Le marché chinois devient de plus en plus concurrentiel, et les secteurs identifiés par la France ne sont pas épargnés. Des délégations de responsables nationaux et locaux chinois font le tour du monde depuis plus de dix ans pour s’inspirer des bonnes pratiques, et n’hésitent pas à comparer offres et expertises. Dans ce contexte, il apparait à la fois nécessaire d’établir une sélection réduite de secteurs de coopération à soutenir en priorité au niveau national, et de prendre en considération les opportunités au niveau local dans d’autres secteurs porteurs, selon les besoins des villes et provinces chinoises.

Renforcement de la coopération décentralisée

La France envisage aujourd’hui un renforcement de la coopération décentralisée avec de nombreux pays, dont la Chine, dans la lignée du rapport Laignel sur l’Action extérieure des collectivités territoriales françaises commandé par Laurent Fabius en juillet 2012, peu après son arrivée au Quai d’Orsay. Cette orientation est particulièrement légitime dans le contexte chinois, alors qu’existent de très fortes disparités entre provinces et une volonté du gouvernement central de les réduire le plus rapidement possible. L’approche expérimentale prônée par les dirigeants chinois, mais aussi les tensions institutionnelles et factionnelles au sein du Parti, confèrent un fort degré d’autonomie aux provinces et grandes villes du pays, avec des initiatives locales qui précèdent souvent celles de Pékin, voire s’y opposent sans embarras.

Dans ce contexte, les avantages comparatifs de l’industrie française peuvent être décuplés au niveau local - dans un pays si vaste, aux écarts de développement si importants, les besoins sont différents d’une province à l’autre, voire à l’intérieur d’une même province. Il est alors possible de faire du sur mesure, province par province, ville par ville, en cherchant la complémentarité entreprises françaises/besoins locaux chaque fois que c’est possible, et en ne négligeant pas les provinces à la fois pauvres et peuplées (Guizhou, Jiangxi, Guangxi, Anhui, par exemple), où les besoins demeurent très importants, et les potentiels de croissance particulièrement forts.

Il est possible de conduire une relation bilatérale renforcée sur deux niveaux en parallèle, national et local, se renforçant mutuellement. Une telle approche ne sera pas facile à mettre en place sur le terrain, et nécessite une coopération efficace entre institutions en amont, en France afin de coordonner l’offre et éviter les initiatives redondantes, mais aussi en Chine afin d’analyser avec précision les besoins locaux et leurs évolutions. La France peut s’appuyer encore plus sur son vaste réseau consulaire, les chambres de commerce françaises et européennes, les représentations des collectivités territoriales françaises en Chine, l’expertise de plusieurs grandes entreprises du CAC40 implantées depuis longtemps sur le marché chinois, y compris dans des provinces reculées, sur les PME qui ont réussi leur implantation : les ressources sont nombreuses, et le travail de coordination complexe. Il s’agit de travailler de concert, entre institutions publiques et privées, pour encourager et guider les entreprises françaises dans leurs investissements en Chine, mais aussi accueillir les investisseurs chinois en France, assurer qu’ils respectent les réglementations locales, comprennent les avantages comparatifs du marché français. Les liens entre provinces ou villes chinoises et collectivités territoriales françaises sont aujourd’hui nombreux, mais encore largement inférieurs aux possibilités. Les développer dans les deux sens est aujourd’hui indispensable, pour soutenir la croissance de l’économie française, et parler un jour sans cynisme de coopération " gagnant-gagnant ".

Article paru au Monde.fr, 25 avril 2013