Publié le 24/07/2013

Michel CRUCIANI

Au terme d'une décennie marquée par le décollage des énergies renouvelables sur son sol, l'Allemagne a décidé en 2010 de leur accorder la prééminence, et d'accomplir simultanément un effort exemplaire en matière d’efficacité énergétique et de réduction des rejets de gaz à effet de serre. Le caractère audacieux de cette politique a été accentué par le "tournant" pris en 2011, après l'accident de Fukushima, avec le choix d'un renoncement à l'énergie nucléaire.

Au vu des premiers résultats pour l'année 2012, l'Allemagne semble en passe de tenir son objectif national, consistant à atteindre 18 % d'énergies renouvelables dans la consommation totale d'énergie en 2020, et elle est bien placée pour faire régresser la consommation d'électricité conformément à sa cible, soit une baisse de 10 %. Elle respectera également ses engagements en matière d'émissions de gaz à effet de serre, aussi bien au plan international qu'au plan communautaire ; en revanche l'atteinte de l'objectif qu'elle s'est fixé en propre, soit une réduction de 40 % d'émissions en 2020, apparait plus difficile à tenir, selon les tendances récentes. De même, on voit mal comment elle pourra réduire la consommation totale d'énergie de 20 % à l'horizon 2020 (par rapport à 2008) ou faire passer les sources renouvelables dans la production d'électricité au-dessus de la barre de 35 %.

La réussite de ce dernier objectif est largement tributaire des renforcements de réseaux, aussi bien pour le transport à grande distance que pour la distribution locale ; il n'est pas sûr le retard pris sur ces deux terrains puisse être comblé avant 2020, malgré les ajustements législatifs rapides qui ont été obtenus. En privilégiant les sources à caractère intermittent, éolien et photovoltaïque, l'Allemagne se heurte en outre à la difficulté de devoir gérer les fluctuations fréquentes de leur production. La réponse à long terme proviendra du stockage de l'électricité, mais, malgré les efforts considérables en recherche et développement, les technologies nécessaires ne seront sans doute pas disponibles à grande échelle avant la fin de la décennie. Ces efforts pourront apporter cependant des atouts intéressants à l'industrie allemande dans des secteurs à fort potentiel, comme le véhicule électrique.

Un autre facteur de ralentissement menace le développement de l'électricité d'origine renouvelable : le coût du dispositif promotionnel en vigueur. Ce coût a jusqu'ici été supporté par les consommateurs domestiques et les petites entreprises, la grande industrie en étant mise à l'abri. Mais la montée spectaculaire de la charge suscite des critiques de plus en plus nombreuses. Des retouches au système actuel paraissent inévitables après les élections fédérales du 22 Septembre 2012 ; leur impact sur le rythme de croissance de la production d'électricité d'origine renouvelable demeure inconnu. Ce secteur bénéficie pour l'instant d'une image positive en raison des emplois qu'il aurait créés ; ces emplois vont de plus en plus dépendre des débouchés à l'exportation, et la mésaventure de la filière photovoltaïque montre les incertitudes que cette perspective soulève. Le secteur des énergies renouvelables conserve toutefois un atout majeur : il a su structurer des voies de financement à la fois solides et peu onéreuses.

Une telle facilité de financement semble inaccessible à la plupart des autres pays européens. Cette situation illustre une facette particulière du dossier : le développement de l'électricité d'origine renouvelable en Allemagne va aussi dépendre des réactions des autres Etats européens. Ces derniers sont touchés physiquement par l'arrivée massive du courant de source éolienne ou photovoltaïque produit en Allemagne et économiquement par les perturbations qu'elle engendre sur les marchés de gros. Leurs réponses sont pour le moment mal coordonnées par la Commission Européenne, qui semble prise au dépourvu par la mise en place de mécanismes de capacité, par exemple, dans certains pays, ou par les demandes de refonder le modèle de marché.