Publié le 21/01/2015

Léo TESTE

Depuis son départ du Département d'état en 2013, Hillary Rhodam Clinton continue de fasciner la presse qui scrute ses moindres faits et gestes dans l’attente d’une annonce de sa candidature pour les présidentielles de 2016. Depuis des années pourtant, l’ancienne First Lady garde ses distances avec les journalistes. Cette défiance notoire pourrait s’avérer problématique si elle confirme sa candidature.

1992-2000 : des débuts difficiles

L’hostilité entre Hillary Clinton et la presse n’est pas récente. Elle est fondée sur une longue expérience d’attaques à la fois idéologiques et personnelles de la part de la presse conservatrice.

Dès 1992, les révélations d’une relation présumée de douze ans entre son mari – alors gouverneur de l’Arkansas et candidat à la présidence - et une journaliste projettent Hillary Clinton sur le devant de la scène médiatique américaine. Les Clinton restent alors solidaires, adoptant un front uni dans leur communication politique. « Je suis ici parce que je l’aime et que je le respecte et que j’ai de l’estime pour ce qu’il a vécu et pour ce que nous avons traversé ensemble » déclare alors Hillary dans l’émission 60 minutes.

Quand les Clinton arrivent à la Maison Blanche en janvier 1993, Hillary est nommée à la tête de la Healthcare Taskforce, chargée de préparer une réforme de la santé. Comme Eleanor Roosevelt avant elle, H. Clinton dépoussière l’image de la première dame, en opposition totale avec la très discrète Barbara Bush. De nombreuses campagnes de diffamation sont alors orchestrées par les médias conservateurs contre Hillary, accusée de vouloir devenir « co-présidente », et contre le système de couverture universelle qu’elle propose. L’échec du projet « HillaryCare » deviendra pour les médias conservateurs et le Parti Républicain l’un des principaux thèmes de campagne des élections de mi-mandat de 1994.

Les scandales Whitewater et TravelGate vont permettre à la presse conservatrice de continuer à attaquer le couple présidentiel lors du second mandat de Bill Clinton. Avec son « Projet Arkansas », le magazine conservateur The American Spectator relaye également les rumeurs sur les infidélités de Bill Clinton. En 1998-1999, l’affaire Monica Lewinsky fragilise le président Clinton, menacé par une procédure d’impeachment après avoir menti sous serment sur la nature de sa relation avec la jeune stagiaire.

En privé, Hillary Clinton traite les journalistes de « gros égos sans cervelle », et s’étonne de l’acharnement de la presse. « Elle ne comprend pas pourquoi tous ces gens ont à ce point envie de la détruire », consigne Diane Blair, une des confidentes d’Hillary, dans des documents privés publiés en février 2014 par un site conservateur. C’est dès cette époque que la première dame choisit de maintenir une grande distance avec la presse.

Le repli sur New York

Lorsque H. Clinton annonce sa candidature au poste de sénatrice de l’état de New York en 2000, elle adopte une nouvelle stratégie de communication. Accusée d’opportunisme par ses détracteurs qui voient d’un mauvais œil son parachutage à New York, elle décide de sillonner l’état pour une « tournée d’écoute » afin d’entendre les préoccupations des électeurs et d’amadouer les médias locaux. Pendant cette période, elle accorde peu d’interviews à la presse nationale, et se concentre plus particulièrement sur le groupe de journalistes régionaux chargés de couvrir sa campagne.

Les relations privilégiées qu’elle construit avec la presse locale, et notamment le Watertown Daily Times, un quotidien distribué dans le nord de l’état, lui permettent de se faire accepter par un électorat principalement conservateur. Cette nouvelle stratégie va fonctionner pour Hillary Clinton, qui remporte le siège de sénateur avec 55% des votes. 

Pendant ses années au Sénat fédéral, Clinton tente de se rapprocher de la presse conservatrice, et notamment du célèbre magnat des médias Rupert Murdoch, propriétaire du tabloïd The New York Post et de la chaîne Fox News. Sa nouvelle relation avec le septuagénaire est fructueuse ; en 2005, il appelle à réélire la démocrate au Sénat par l'intermédiaire du New York Post et organise même une soirée de levée de fonds au profit de l'ex-First Lady. H. Clinton obtient facilement sa réélection en 2006 et fait alors figure de favorite pour l’investiture démocrate à l’élection présidentielle de 2008[1].

La primaire de 2008 : une erreur de positionnement

Le 20 janvier 2007, H. Clinton se lance officiellement dans la course à la Maison Blanche. D’autres candidats, tels Barack Obama et John Edwards, lui font concurrence, mais Hillary Clinton n’est pas inquiète. Elle ne fait pourtant pas totalement l’unanimité au sein de son propre parti, qui lui reproche son vote en faveur de la guerre en Irak en 2002, et sa volte-face sur le sujet cinq ans plus tard. Elle conserve pourtant une rhétorique virile, parfois violente, sur les questions de politique étrangère et de défense -notamment sur la menace d’un Iran nucléaire-, afin de se faire accepter comme un chef convaincant des armées. Mais, à trop vouloir se forger une image de combattante, elle perd une partie de son électorat qui voit en son adversaire Barack Obama la véritable figure du changement. Les médias l’affublent d’adjectifs comme « agressive » ou « autoritaire », ses soutiens la délaissent et ses caisses de campagne se vident. Quelques semaines avant la convention démocrate, H. Clinton change d’attitude et essaie de courtiser les journalistes. Mais il est trop tard pour l’emporter face à Obama. H. Clinton a perdu.

Pour les membres du « Hillaryland » qui entoure la démocrate, l’une des raisons principales de cette défaite tient au manque d’objectivité de la presse américaine, y compris la presse progressiste comme le New York Times[2], qui a montré plus d’intérêt pour le jeune sénateur africain-américain. Cette hypothèse est en partie validée par une étude publiée en 2007 par le Pew Research Center, qui montre que 38% des reportages alors consacrés à la candidate étaient négatifs contre 27 % positifs, tandis que seuls 16% des articles sur Obama étaient négatifs et près de la moitié étaient positifs. Une part de cette couverture médiatique négative doit-elle être attribuée au sexisme et à la misogynie ? La presse, plus intéressée par les coupes de cheveux de la démocrate que par ses thèmes de campagne, est très dure avec elle. « Les hommes ne voteront pas pour Hillary Clinton parce qu’elle leur rappelle leur femme acariâtre », avait même affirmé le présentateur de Fox News, Neil Cavuto, en citant un des invités de son émission.

Secrétaire d’Etat

Le 21 janvier 2009, H. Clinton prend ses fonctions comme Secrétaire d’Etat dans la nouvelle administration Obama. Suivie quotidiennement par une quinzaine de correspondants diplomatiques, la femme politique arrive à mettre en place des relations cordiales avec les journalistes. Selon Philippe Reines, responsable de la communication d’Hillary Clinton depuis 2002, cette période au Département d’Etat est un âge d’or des relations entre Clinton et la presse.

Mais l’attaque du consulat américain de Benghazi, en Libye, le 11 septembre 2012, va laisser une tache indélébile sur le mandat de Clinton au Département d’Etat. Ses détracteurs – et notamment la chaîne de télévision conservatrice Fox News – l’accusent d’être directement responsable de la mort de l’ambassadeur Chris Steven et de trois autres américains. Deux semaines après l’annonce de la création d’une commission parlementaire pour examiner « les défaillances de la sécurité à Benghazi », Fox News avait déjà réalisé 225 segments d’information sur le sujet pour une valeur de temps d’antenne de 124 millions de dollars.

La presse conservatrice se sert de l’enquête sur Benghazi pour tenter de miner une éventuelle candidature de Hillary Clinton à la Maison Blanche en 2016. Et ceci, même après la publication du rapport du comité parlementaire en charge de l’affaire Benghazi, qui conclut qu’aucune faute n’a été commise par l’administration Obama.

Hillary Clinton a réussi à établir de meilleures relations avec la presse diplomatique de Foggy Bottom. Mais cela suffira-t-il pour l’élection présidentielle de 2016 ? Dans son ouvrage Hard Choices - Le temps des décisions, en français – publié en juin 2014, H. Clinton dresse un bilan de son passage au Département d’Etat. Sa tournée promotionnelle a des airs de campagne présidentielle, mais la réception de la presse et du public est mauvaise. Pour Dana Perrino, ancienne chef du service de presse de George W. Bush, le manque de préparation d’Hillary Clinton dans la tournée promotionnelle de son mémoire est éloquent.

Vers la campagne de 2016 ?

Si Hillary Clinton remporte les primaires démocrates, elle devra subir l’acharnement de la presse conservatrice, comme l’a déjà annoncé Reince Priebus, président du comité national républicain, sur la chaîne MSNBC. Hillary reste régulièrement la cible de rumeurs et théories extravagantes sur ses états de santé voire son orientation sexuelle ; il semblerait que sa relation avec Murdoch n’ait pas adouci les médias conservateurs.

Pour faire face à ces diverses attaques, l’entourage de H. Clinton se mobilise : ainsi, David Brock - un ancien conservateur maintenant proche des Clinton - est le fondateur de Correct the Record, une équipe composée d’une vingtaine de journalistes qui répond aux attaques conservatrices contre les démocrates.

Si les attaques de la presse conservatrice sont à prévoir quel que soit le candidat démocrate, ce sont les médias progressistes qu’Hillary Clinton redoute pour 2016. Si H. Clinton a compris que ses mauvaises relations avec la presse « de gauche » sont en partie responsables de son échec aux primaires démocrates de 2008, il semble acquis qu’elle ne referait pas les mêmes erreurs dans une prochaine campagne présidentielle. Pour réussir à s’imposer, elle devra se montrer plus accessible et plus sensible, car comme l’explique Lanny Davis – un conseiller de Hillary Clinton et ami de longue date – « lorsqu’elle s’autorise à être elle-même, elle est sincère et sympathique. » Grâce à son bilan au Secrétariat d’Etat, son image de leader et de diplomate semble fermement établie – elle n’aura donc pas besoin en 2016 de se présenter comme la dame de fer qu’elle était en 2008.

Par ailleurs, en augmentant depuis quelques années sa présence sur les réseaux sociaux – sur instagram et sur twitter notamment, grâce à l’aide de sa fille Chelsea et de Katie Stanton, responsable de la communication digitale d’Obama – Hillary Clinton a peut-être trouvé une parade à ses mauvaises relations avec la presse. Avec plus de 2.6 millions de followers sur twitter et un humour assumé (elle s’est récemment moquée de Fox News dans un de ses tweets) H. Clinton semble plus à l’aise avec les réseaux sociaux qu’elle ne l’est avec les médias traditionnels.

Communiquer directement avec les électeurs sera peut-être un atout crucial pour Hillary en 2016, mais de bonnes relations avec les médias semblent tout de même indispensables pour remporter la présidence. En attendant la mise en place d’une équipe de campagne en bonne et due forme, des comités d’actions politiques (ou PACs) se mettent en place dans la capitale et partout dans le pays. Il ne reste plus qu’à attendre l’annonce officielle de la candidature de Hillary Clinton, qui devrait arriver dans les prochains mois.

 

[1] Auletta, Ken. "The Hillary Show." The New Yorker 2 June 2014, accessed on 13 Dec. 2014

[2] “We’re never going to get the New York Times. Why bother?” – Sen. Clinton